Un scénario pour dénoncer les injustices subies par les adolescentes des quartiers


Deux jeunes tout juste bachelières du quartier Jean Macé de Trappes se sont lancées dans l’écriture d’un scénario racontant les difficultés vécues par les adolescentes des quartiers populaires.

 

« Ça nous a fait du bien de nous retrouver entre nous, avec les garçons, parce qu’au quartier on ne peut pas rester ensemble » se réjouit Sarah, 18 ans, en parlant du séjour organisé en juillet 2021 par l’association « les mamans du cœur » autour de la citoyenneté. Était présente son amie Rébecca, 17 ans. Les deux nouvelles bachelières, habitantes du quartier Jean Macé à Trappes, sont des membres depuis juillet 2021 de l’association, en vue d’aider à la collecte de vêtements qu’elles distribuent ensuite dans les hôtels logeant des familles envoyées par le 115, à proximité de leur quartier.

Les deux jeunes filles y sont rentrées par le biais de la tante de Sarah, Naïla, la présidente, mais surtout à l’occasion de ce séjour de 5 jours, « dans une bergerie » à Chaussy, une commune du Val-d’Oise. « Derrière, il y avait des vaches et tout. On avait kiffé » se rappelle Sarah. Un séjour avec Rebecca et une autre amie, ainsi que cinq garçons du quartier, tous membres de l’association. Le but de ce séjour était de « nous faire quitter le quartier, et pouvoir se rassembler entre garçons et filles parce qu’au quartier, on peut pas trop » explique Rebecca. « Au quartier les garçons et les filles ne se mélangent pas trop, pour éviter le regard des grands frères », ajoute-t-elle.

Dans la même veine, depuis un mois, Rebecca et Sarah préparent un projet de court-métrage décrivant les situations vécues par les filles dans leur relation avec les garçons dans leur quartier à partir de la puberté. L’idée leur est venue d’un court-métrage déjà réalisé par les garçons du quartier, racontant la vie d’un garçon attiré par le deal, au même moment de la puberté. « Naïla nous a proposé de faire la même chose avec les filles », raconte sobrement Sarah.

Les filles ont préparé les scènes du scénario avec « entre 5 et 7 filles » de Jean Macé se rappellent les deux amies, en chœur, en jetant toutes leurs idées sur une feuille, ce qui leur a pris une soirée. Naïla a ensuite retravaillé leurs idées avec un scénariste ayant travaillé sur le premier court-métrage, pour que « ça soit bien carré », précise Sarah.

"On s’est inspirées de ce qu’on voit, de ce qu’on entend, et de ce qu’on vit. C’est comme si on raconte notre vie, mais dans l’anonymat"

L’écriture du scénario n’a pas été compliquée pour les deux compères : « On a pris 3 filles et après on a laissé parler notre imagination » se réjouit Sarah en se remémorant la scène. « En vrai, on n’a pas imaginé. C’est ce qui se passe réellement au quartier » concède Rebecca, avant que Sarah ne précise : « On s’est inspirées de ce qu’on voit, de ce qu’on entend, et de ce qu’on vit. C’est comme si on raconte notre vie, mais dans l’anonymat », réfugiées derrière un scénario et des personnages.

Leur court-métrage parle de trois jeunes filles avec trois histoires différentes mais se rejoignant sur la question de la discrimination au détriment des jeunes filles d’un quartier. La première histoire concerne une jeune fille portant le voile, discriminée au sein de sa propre famille par ses parents qui ne veulent pas qu’elle le porte, par peur pour son avenir. La deuxième histoire concerne une jeune fille qui se maquille beaucoup, qui est « extravagante et aime bien plaire », décrit Sarah, et que les garçons du quartier jugent négativement. « Même les mamans », ajoute Rebecca. La dernière histoire parle du personnage d’« une fille lambda » décrit Rebecca, qui se fait malmener par son grand frère, ce qui va la pousser, par peur, à « faire des trucs derrière le dos de son grand frère » raconte Sarah.

Ces trois personnages, Rebecca les trouve toutes intéressantes : « pour moi elles sont toutes importantes », répète-t-elle. Mais pour Sarah, l’histoire de la jeune fille et de son grand frère est l’histoire qui est la plus touchante parce que « moi aussi, j’ai un grand frère qui me met beaucoup la pression » admet-elle.

Rebecca et Sarah déplorent surtout le fait que ces discriminations que vivent les filles dans les quartiers viennent des personnes avec lesquelles elles ont grandi. Les deux amies expliquent que, enfants, tous étaient très proches, allant dans la même école, voire dans la même classe pour certains. Mais, depuis le début du collège, « on s’est tous séparés » déplore Sarah

"Elle, c’est la sœur d’un tel. Parle pas avec elle."

D’après les deux jeunes femmes, ce changement de comportement s’explique par l’influence des rumeurs qui, au moment de la puberté, a changé la mentalité des garçons. Et aussi par l’influence des grands frères interdisant tout contact entre garçons et filles par un : « Elle, c’est la sœur d’un tel. Parle pas avec elle ».

« Moi je pense que les filles et les garçons, on n’a pas la même mentalité. Ils pensent comme des enfants en fait » constate Sarah en faisant référence à leur manière de ne pas prendre de recul sur les situations. Rebecca, de son côté, pense que c’est à cause de l’éducation qu’ils ont reçue, « car c’est à nous de surveiller nos enfants en fait » explique-t-elle, en se mettant déjà dans la peau d’une maman.

Impatientes de commencer leur tournage, prévu à la rentrée. « Je pense qu’en une semaine, c’est bouclé », espère Sarah. Le montage sera ensuite fait par un monteur pro. « Vraiment, elle fait ça bien Naïla », s’enthousiasme Sarah, en parlant de sa tante. Les jeunes actrices qui figurent dans le court-métrage sont “des bénévoles de l’association, habitant le quartier, qui aiment bien ce qu’on fait, et qui voulaient participer au projet” après avoir vu la vidéo des garçons, explique Rebecca.

Les deux scénaristes apprécient l’impact que crée le format du court-métrage – 30 minutes maximum, comme celui des garçons – sur les spectateurs. Elles espèrent que ce court-métrage apportera plus de visibilité et de crédibilité à l’association Les Mamans du Cœur qui finance leur projet. Parlant de personnes imaginaires, mélange de représentants de l’État, de financeurs potentiels, et de spectateurs éloignés, les filles souhaitent « leur montrer qu’on est une vraie association, avec de vrais projets qui aboutissent, et qu’ils peuvent nous faire confiance. »

Concernant l’impact de leur projet sur les garçons, les deux amies sont partagées. Elles ne pensent pas que leur court-métrage, version fille, va changer la mentalité des garçons, car « ça fait longtemps que c’est comme ça » déplore Sarah. « Je pense que si les garçons voyaient ça, ils auraient une autre vision de nous » espère tout de même la jeune femme, « car les garçons ne savent pas comment, nous, on pense. Pour eux, on veut juste se montrer avec ce projet » déplore la jeune femme. « On va peut-être changer la mentalité de deux trois garçons, mais ça ne va pas faire une généralité’ », concède Rebecca, qui va dans le sens de son amie, l’air un peu désabusée. Avant de se reprendre : « On fait genre on s’en fout, mais dans le fond en vrai, on aimerait bien que ça les touche, qu’ils voient qu’on existe. »

 

Kandia Dramé


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