Trois lycéennes racontent leur expérience de la stricte séparation qui existe entre garçons et filles dans leur lycée, et leurs conséquences sur leur vie quotidienne.
« Je pense qu’il y a toujours eu des différences et des inégalités entre les deux genres mais les différences se sont creusées encore plus et elles se creuseront encore si on continue comme ça », constate Karin (les prénoms ont été modifiés),16 ans, élève en classe de première au Lycée de la Plaine de Neauphle, à Trappes, quand elle évoque la mixité entre garçons et filles. C’est également ce que pensent Catalina et Elise, ses condisciples au lycée, toutes trois réunies pour faire entendre le fond de leur pensée sur le sujet.
Au lycée que ça soit en classe, en sport ou en récré, Karin raconte qu’aucune fille et garçon ne se mélange. « J’ai des amis garçons, mais la plupart du temps je parle avec eux sur les réseaux » raconte l’adolescente. En parlant de ce sujet, elle se rend compte que, inconsciemment, elle passe la majeure partie de son temps avec ses amies, comme quelque chose de « normé », explique-t-elle. « Quelqu’un qui sort de son groupe habituel, c’est mal vu. Une fille qui va vers des garçons, c’est une Tana », un terme péjoratif popularisé par le rappeur Niska pour désigner les femmes. « Pourtant…si c’est l’inverse, on dit que le garçon a géré », dans le sens où il arrive à séduire, fait remarquer Catalina avec un léger dédain dans le ton.
« J’ai l’impression que tous les garçons sont HYPER sexistes »
Pour Elise, cette absence de mixité, c’est une affaire de différence d’âge mental. Quand elle parle des garçons de son âge, elle analyse : « Il y en a… c’est vraiment des enfants. Quand tu leur dis que t’aimes les jeux-vidéos, les mangas ou le foot, tout de suite ils pensent que c’est pour plaire à un garçon. C’est comme si on jouait un rôle pour eux » analyse-t-elle. Un jour, raconte-t-elle, elle avait expliqué qu’elle aimait regarder un célèbre animé, One Piece. « On m’a littéralement fait un quiz pour voir si je ne mentais pas juste pour plaire… , ajoute-t-elle avec un soupir. J’ai l’impression que tous les garçons sont HYPER sexistes. »
Catalina rajoute également que ce manque de mixité a un impact négatif sur l’apprentissage des relations amicales et amoureuses entre garçons et filles. « Il y a vraiment des grandes barrières », regrette-t-elle, empêchant les adolescentes d’aller voir les garçons qui leur plaisent pour leur dire. La lycéenne craint qu’une fois arrivées à l’âge adulte, elles auront du mal à aller voir naturellement les garçons de leur âge, et qu’ « il n’y aura plus ce truc enfantin, superficiel », qui constitue les relations amicales et amoureuses.
Pour Catalina, cette séparation entre garçons et filles est familière, depuis toute petite ; « En primaire, à la récréation, tout le monde était séparé. Le peu de temps où l’on était ensemble c’était pour des gages ou pour jouer à Attrape fille-garçon », un genre de Chat où les équipes sont séparées en fonction du genre. D’ailleurs, elle a « ressenti beaucoup d’injustice » lorsque les garçons jouaient au foot et pas elles, ajoute-t-elle, « genre, on était exclues et tout. »
Pour Karin, on ne s’éloigne pas plus du monde footballistique. Elle, n’a pas vécu d’injustice, personnellement, mais en a été plutôt témoin. « Je jouais à un jeu vidéo avec un ami et dans l’équipe adverse, raconte-t-elle, il y avait un garçon et d’autres filles. Une de ces filles ne faisait que des passes au garçon et pas aux autres filles de son équipe. Sous le coup de l’énervement, mon ami a dit que la fille, vu qu’elle faisait que des passes à ce garçon, c’est qu’elle voulait le garçon, et que c’était une BDH », un autre terme péjoratif désignant les femmes qui cherchent à attirer le regard des hommes.… « Le fait qu’une fille soit insultée, qu’elle soit traitée etc…C’est fréquent. C’est même devenu une habitude. C’est presque considéré comme une virgule pour certains » dénonce-t-elle, utilisé dans un grand nombre de phrases quand une fille a fait quelque chose qu’un garçon n’a pas aimé. « Mais même les filles l’utilisent pour le filles », finit-elle par ajouter
« ils pensent qu’ils peuvent nous rabaisser »
Si le mélange est déjà difficile à l’école, il l’est d’encore plus à la maison pour Catalina, qui a ressenti une forme de discrimination dans le traitement qu’elle a reçu de sa mère, par rapport au traitement reçu par ses frères : « Dans ma famille, dès la primaire, ma mère, elle me disait que je devais être propre, faire la vaisselle, le ménage et tout, regrette l’adolescente. Elle n’a pas dit que mes frères ne devaient pas faire les tâches ménagères, mais pour elle, c’était notre devoir à nous », les filles, qui sont celles qui ramènent toujours à manger, ou qui s’occupent des plus jeunes à la maison.
Dans cet environnement, Karin, en parlant des garçons, estime d’un ton assuré qu’« ils pensent qu’ils peuvent nous rabaisser ». Pour expliquer ce phénomène, la lycéenne pense au rôle des influenceurs sur les réseaux sociaux, et surtout aux clips musicaux, qui contribuent à renvoyer « une image dégradante » des femmes. « La musique, dans ma vie et même dans la vie de tous les jeunes, elle joue un rôle important », décrit-elle, que ce soit par les plateformes de musique ou sur les réseaux sociaux, Tik Tok notamment. Dans leurs clips où les filles sont très peu habillées, « ces rappeurs emploient souvent des termes dénigrants envers les femmes, ou elles sont considérées comme des filles faciles, pour rester gentilles. Et ça influence », estime Karin. Parce que lorsqu’une musique passe bien, les jeunes ont tendance à la chanter et ressortir les paroles facilement.
Pour les trois lycéennes, dès l’école primaire, certains dessins animés mettent en scène les inégalités entre filles et garçons. « Les personnages masculins, souvent, font face au danger, analyse Karin. Ce sont eux qui incarnent les rôles les plus importants, par exemple dans Sam Le Pompier, Sam, c’est celui qui fait face à des dangers tandis que les femmes, elles ont un rôle plus secondaire. Elles s’occupent de la maison, des enfants…C’est pas elles qui vont faire face au danger, c’est plutôt elles qui vont être en danger. » En accord total avec Karin, Catalina fait le lien avec un genre de manga réservé à un public féminin, les Shōjos. « Dans les Shōjos, les filles, elles sont presque tout le temps définies par leurs sentiments et les garçons sont toujours au centre de l’attention… » détaille-t-elle.
Lorsque j’ai demandé aux garçons leur avis sur le sujet ils m’ont dit qu’ils ne ressentaient pas particulièrement ce sentiment de manque de mixité dans le lieu qu’ils fréquentent le plus, le lycée. Catalina ne s’en est pas étonnée : « Eux, ils ont pas de problème parce que ce sont pas eux qui sont discriminés. Mais nous. On a des problèmes, à cause d’eux. S’ils ne le remarquent pas, si pour eux c’est un peu de la rigolade, et s’ils n’ont pas conscience des problèmes des autres, c’est parce que c’est pas leur souci »
Mabinou Meite