Des adolescentes dénoncent les inégalités filles-garçons dans leur quartier
Pendant une après-midi en fin mai, un groupe de 5 adolescentes du quartier Jean Macé, à Trappes, se sont livrées sur les relations difficiles qu’elles ont avec les garçons de leur âge.
” Moi je trouve qu’aujourd’hui ça sert à rien les amitiés filles-garçons”, énonce de façon retentissante Leïla (les prénoms ont été modifiés), 16 ans, assise au sol avec quatre de ses amies dans un local associatif du quartier Jean Macé à Trappes, vidé pour la journée de ses tables et chaises, prêtées pour la journée pour un repas organisé dans le quartier. Les 5 filles présentes, âgées de 15 à 16 ans, ont constaté, avec le temps, du changement dans leurs relations avec les garçons avec lesquels elles ont grandi. « Avant on pouvait traîner avec tous les garçons. Personne n’allait rien dire parce qu’on était petites. Et maintenant on grandit, on arrive à la puberté, et on doit faire attention à nos fréquentations » témoigne son amie Inès, hyper impliquée sur le sujet.
Les adolescentes présentes partagent toutes le même vécu. Ayant eu des affinités dans leur plus jeune âge avec un groupe de garçons de leur âge, elles font l’expérience d’un éloignement soudain. « Les garçons avec qui je traînais quand j’étais petite, aujourd’hui je parle plus trop avec eux parce que tout le monde a grandi », raconte énergiquement Anaïs, qui entrera en seconde dans quelques jours. Les autres filles soutiennent sa réflexion.
"J’aimerais bien parler avec les gens de mon quartier mais j’ai l’impression qu’entre nous, y’a mes frères"
Selon Anaïs, les grands frères ont un impact sur leur fréquentation. « J’aimerais bien parler avec les gens de mon quartier mais j’ai l’impression qu’entre nous, y’a mes frères », regrette-t-elle. Car lorsqu’un grand frère est connu et respecté au sein du quartier, à un certain âge, les garçons n’osent pas approcher les petites sœurs concernées. « Ils ont trop de freins par rapport à nos grands frères. C’est pas normal », s’exclame l’adolescente. « Si mon grand frère me voit posée avec les garçons du quartier, il va me faire la réflexion. Parce que ça touche leur image », analyse-t-elle.
Certains grands frères, qui n’acceptent pas de voir grandir leur sœur, deviennent oppressants sous prétexte de les protéger d’éventuels maux qui pourraient les toucher, et peuvent être une source de pression pour leurs plus jeunes sœurs. Du coup, les adolescentes se cachent. « Par exemple, sur Snap, mon frère, il sait pas que j’ai des garçons. Le jour où il va savoir, je vais me faire tuer » continue Anaïs, qui ne s’arrête plus sur le sujet. Cette surveillance constante au sein de leur quartier pousse ces filles à fréquenter les garçons qu’elles rencontrent en dehors du quartier, où elles se sentent plus libre. Notamment, « à l’école, c’est pas pareil, c’est plus libre que dehors » explique Selma, qui ne s’est pas beaucoup exprimée cet après-midi-là, mais était toujours d’accord avec ce que racontaient ses copines.
"On dirait que derrière la bagarre, ils veulent dire un truc"
En grandissant, et alors que les morphologies des filles et des garçons évoluent différemment, les filles ont remarqué une autre forme de violence pratiquée par les garçons de leur âge. Des coups. Pour rigoler. Ou encore des balayettes pour les faire tomber, comme si les filles étaient des garçons, mais des garçons qui ne rendront pas les coups. « On dirait que derrière la bagarre, ils veulent dire un truc. Nous, on sait pas, c’est flou dans notre tête », admet Vanessa, qui débutera sa première générale au lycée de Trappes dans quelques jours. Toutes les filles présentes disent avoir déjà subi des violences de la part des garçons de leur âge. Selma justifie ceci par le fait qu’« ils savent qu’ils ont plus de force que nous. Ils savent que la fille, elle, va pas taper plus fort. »
Les filles dénoncent enfin en chœur le fait que les garçons s’approprient certains espaces du quartier, que les filles doivent quitter quand les garçons arrivent. De manière générale, les filles se sentent invisibles, et mises à l’écart. « Les garçons représentent les quartiers », dénonce Vanessa de manière revendicative. Par exemple, explique l’adolescente, « quand y’a des clips, ou des reportages, on va mettre que les garçons ». Or, elles aimeraient bien qu’on leur propose d’en faire partie, quand bien même elles refuseraient.
Et si les adolescentes se sentent invisibles, c’est aussi parce que sortir à l’intérieur même de leur quartier peut être source d’embêtements pour elles. Ines, dans son jogging Nike, s’insurge contre le fait qu’« un garçon qui sort dehors, c’est plus banalisé qu’une fille qui est tout le temps dehors », même entourée de ses copines, et qui sera mal vue par les garçons, qui se permettent souvent d’avoir leur mot à dire.
Pour ce groupe de filles, cette situation s’explique par des mentalités masculines, une façon de penser et de percevoir la femme, qu’elles aimeraient changer. « Leur mentalité, elles changent dès qu’ils ont eu leur puberté » relève douloureusement Ines, sans bien comprendre pourquoi.
Sarah Jaaouane