Sur les pas d’une jeune infirmière


Noura* est une jeune Trappiste qui a récemment déménagé à Corbeil-Essonnes au moment de devenir infirmière. Retour sur son expérience et sa nouvelle vie.

 

“En fait, j’ai trouvé mon taff depuis mes années d’étude, parce que j’avais signé un contrat” explique Noura, 23 ans, jeune infirmière exerçant depuis août 2024 dans l'hôpital gériatrique situé dans la région parisienne.

Fraîchement diplômée depuis juillet 2024 dans un secteur d’activité qui recherche beaucoup d’employées, Noura n'a pas eu de difficulté à trouver son premier emploi. Lors de sa dernière année d’étude, en échange d’une aide financière mensuelle, elle a accepté d’y travailler pendant au moins deux ans après l’obtention de son diplôme. “Je ne me souviens plus du montant exact, mais cela tourne autour de 15 000 euros au total pour les deux ans” explique la jeune diplômée.

De plus en plus d’hôpitaux versent en effet une indemnité mensuelle pendant les études, à partir de la deuxième année, si un contrat est signé qui engage les futures infirmières pendant 36 mois. Noura, elle, ne recevra l’aide que pendant 18 mois, car elle a signé le contrat qu’à partir de sa troisième année d’étude. Mais pour elle, de toute façon, “ mieux vaut 18 mois que 36 mois, parce que si ça se passe mal, c’est compliqué. C’est un vrai engagement."

Dans le service de Noura, il n'y a que deux infirmières fixes. Elle, et sa collègue, qui se relaient. Noura et sa collègue travaillent pendant des périodes de 12 heures, avec une équipe de nuit pour garantir la continuité des soins. “ Quand c’est petite semaine je ne travaille que deux jours, et quand c’est ma grande semaine je travaille 4 jours” explique-t-elle. Ce qui permet aussi de limiter le transport en commun, car le trajet aller-retour, depuis chez elle à Corbeil-Essonnes, c’est environ 4 heures.

Noura, a la chance de ne travailler que de jour. Pas de nuit pour elle, pour l’instant. Au sein de son service, en matière d’organisation des plannings, le fait d’avoir des personnels de différentes religions aide le cadre de santé qui gère. “J'avais dit que je ne célébrais pas Noël, j’ai donc travaillé ce jour-là“, ainsi que le 31 décembre et le 1er janvier. Mais pour l’Aïd, elle aura son “ jour de fête”, celui qu’elle a le droit de poser une fois par an. Et de manière générale, il est toujours possible de s'arranger entre collègues.

 

“Quand, on était à l’école, on nous avait dit que le salaire était entre 1700 et 1900 € net, mais moi, personnellement, j’ai jamais gagné en dessous de 2000 €.“

 

“Parfois on n’a pas beaucoup de choses à faire en termes de soins pratiques mais je pense que la charge mentale est très lourde” souligne Noura. Être la seule infirmière dans le service rend la situation “psychologiquement compliquée”, car elle n’a pas ses collègues à disposition “pour discuter” comme le feraient des collègues de bureau. Car la seule autre infirmière présente à l’étage est dans un autre service.

Côté salaire, c’est pas mal, même si ça peut toujours être mieux, raconte Noura. “Quand, on était à l’école, on nous avait dit que le salaire était entre 1700 et 1900 € net, mais moi, personnellement, j’ai jamais gagné en dessous de 2000 €. Et j’ai même déjà gagné 3000€”, se réjouit-elle, du fait de primes de travail le week-end et les jours fériés, ainsi que des heures supplémentaires. Toutefois, elle n’a effectué des heures supplémentaires qu'une seule fois, avec un paiement deux mois plus tard.

Plus jeune, quand elle vivait encore en Côte d’Ivoire, Noura voulait devenir médecin "car je voyais des familles sans moyens qui ne pouvaient pas être soignées et qui risquaient de mourir. Je me suis dit que je deviendrais médecin pour soigner ces gens-là, même s’ils n'avaient pas d'argent", raconte la jeune femme. Mais à son arrivée en France, à Trappes, à 15 ans avec sa mère et ses frères et sœurs pour rejoindre son père, l’élève réalise qu'elle a des difficultés en mathématiques, une matière qu'elle n'apprécie pas. Compliqué alors de réussir en médecine…

Du coup, après sa seconde générale au lycée de la Plaine de Neauphle, elle envisage une carrière dans le social, en vue de devenir assistante sociale ou conseillère en économie sociale et familiale, pour accompagner des personnes ayant des difficultés dans leur vie quotidienne au niveau professionnel, économique, familiale. Noura a finalement abandonné l'idée du social, estimant qu’être constamment aux côtés des personnes jusqu'à ce qu'elles se sentent mieux psychologiquement impliquait trop de gestion émotionnelle, notamment avec des familles en difficulté financière ou celles confrontées à des situations difficiles comme le placement d'enfants.

 

Je me suis dit : « je vais faire un travail ou je vais voir l'intimité des gens ». Je me suis dit : « C’est mort ! »

 

Devenir infirmière lui a semblé être une option moins émotionnellement intense, car la relation est plus ponctuelle avec les patients et leurs familles, bien que le rôle implique de rassurer les patients et leurs familles. Même après un décès, quand elle intervient pour apaiser la famille, la situation se termine rapidement explique-t-elle car “après ils partent et tu ne les revois plus”.

Pourtant, au moment de faire son choix de carrière, lors de ces années au lycée, elle a d'abord hésité. Après avoir assisté à des journées portes ouvertes dans des écoles où elle apprend qu’il faut poser une sonde pour les patients ne parvenant pas à uriner, et suite à une démonstration de toilette d’une personne âgée, “ je me suis dit : « je vais faire un travail ou je vais voir l'intimité des gens ». Je me suis dit : « C’est mort ! »” se rappelle-t-elle.

Mais la période du Covid a tout changé. “J’ai remarqué que les infirmières étaient beaucoup évoquées, et qu’elles étaient sur le terrain. Je me suis dit : "On va voir ce que ça donne", se rappelle la jeune femme. Noura a été aussi inspirée par une de ses enseignantes au lycée, une ancienne infirmière, qui lui parlait de ce métier.

Bien qu’elle soit toute jeune dans ce métier, elle décrit son rôle comme un poste à responsabilité. Dans son service, au quotidien, “c’est un peu comme si c’était moi, la cheffe, après le cadre”, affirme-t-elle, au sein de son équipe composée d’une infirmière et de quatre aides-soignants présents pour 28 patients. Mais du côté médical, elle travaille sous la responsabilité d’un médecin qui prescrit les médicaments à administrer aux patients, sans marge de manœuvre. “Même un simple Doliprane, sans prescription, nous n'avons pas le droit de le donner” précise-t-elle. Du point de vue organisationnel, c’est le cadre de santé qui s’occupe de tout.

Et les relations ne sont pas toujours faciles entre infirmières et aides-soignants, et encore moins quand s’ajoute à la différence de statut, la différence d’âge. Lorsqu’elle doit gérer des aides-soignants expérimentés, plus âgés qu'elle, qui travaillent depuis des années, elle constate qu’ils sont réticents à accomplir de nouvelles tâches. Dans son service, estime la jeune infirmière, “quand je leur demande de faire un truc qu’ils n’ont jamais fait », par exemple un test de glycémie qui sont depuis peu de leur compétence, « ils ne cherchent pas à savoir le faire car ça leur demande un travail supplémentaire, et certains se contentent du strict minimum,” s’agace Noura qui finit par faire la tâche elle-même.

 

"Les gens n’aiment pas travailler en gériatrie parce que c’est difficile"

 

“Il y en a, ils font des arrêts tout le temps. Parce qu'on est sous staffé parfois en fait” explique Noura. Dans ce cas, elle doit souvent les remplacer en raison du manque de personnel. Parfois aussi, il arrive qu'on la déplace dans d’autres services pour pallier l'absence d'infirmières. Ce qui complique encore la situation car elle ne connaît pas les patients de ces services, ni leur traitement médical, ni leurs caractères ou leurs petites habitudes.

“Ils ont du mal à recruter plus d'infirmiers, car les gens n’aiment pas travailler en gériatrie parce que c’est difficile car il faut leur donner à manger, leur faire la toilette, les tourner, ce sont des patients en fin de vie donc c'est compliqué …” déplore-t-elle, ce qui les oblige à faire appel à des infirmiers intérimaires, par exemple lorsque les deux infirmières ont leur jour de repos le même jour, souvent avec une qualité de service moins forte, car les intérimaires ne connaissant pas bien le service, laissent parfois des tâches non effectuées ou mal faites, ce qui oblige Noura à revenir dessus.

Malgré ces défis, Noura estime qu’elle parvient à gérer son service efficacement grâce à une bonne organisation. “ Comme je connais bien mon service, j'aime anticiper les tâches pour ne pas me retrouver à la bourre” explique fièrement la jeune. Avant de partir, elle prépare tous les médicaments et soins à l'avance, ce qui lui fait gagner du temps quand elle arrive le matin. “ Je connais leurs traitements par cœur, ce qui me permet de gagner du temps. Et j'essaie de finir toutes mes tâches avant 19h, puisque je termine à 20h, ce qui me laisse une heure de marge en cas d'urgence avec un patient” détaille la jeune infirmière. Jusqu'ici, cela fonctionne bien : “je termine à l'heure, je ne suis pas débordée, et tout se passe plutôt bien” se réjouit-elle.

Mais au-delà des tâches et de la rigueur, c'est le lien avec les patients qui donne tout son sens à son travail. “Ce que j'aime le plus dans mon travail, c'est d'accompagner les personnes dans le besoin, me sentir utile”. Lorsqu'un patient se plaint d'une douleur, qu’elle lui donne un médicament, et qu'il la remercie, “cela me fait plaisir et me motive à continuer” se réjouit-elle, passionnée par son métier. “ On s'attache aux patients, même sans vouloir”.

 

Kandia Dramé

 

*le prénom a été modifié


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