À Trappes, la famille Diaby a vécu un mois de ramadan exceptionnel, entre confinement, arrêt de l’école, chômage partiel et déconfinement
“Souvent, je m’endors vers 8h-9h et je me réveille vers 16h-17h” avoue Mariama, collégienne de 16 ans en classe de troisième. Mariama, comme beaucoup d’autres musulmans, a été en période de Ramadan. La journée de jeûne était très longue en ce mois de mai, débutant à 4 h et se terminant à 21 h 40. Cependant, Mariama ne trouvait pas cette journée trop longue en raison du fait qu’elle se levait très tard. “Le Ramadan pendant le confinement, c’est très nul” avoue-t-elle. “Comme pendant le ramadan, on n’a pas le droit d’écouter de la musique ou de faire des occupations inutiles bah ça devient vite ennuyeux”. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle se lèvait tard, “sinon je n’aurais rien à faire pendant la journée”. En fait, j’essaie de m’occuper, de faire des trucs que je fais pas habituellement, comme par exemple essayer de nouvelles recettes de cuisine ou me maquiller”.
Cette année, le Ramadan a débuté pendant le confinement, et Mariama a dû adapter sa manière de vivre, elle qui vit dans un quatre pièces à GS avec sa sœur Bintou de 14 ans, un petit frère de 10 ans, un grand de 21 ans et sa mère, la quarantaine. Un autre grand frère âgé de 25 ans qui s’est marié et n’habite plus avec eux, et leur père, qui était au Sénégal, est rentré à 6 jours de la fin du ramadan. Tout ce petit monde vit à GS, “le meilleur quartier de Trappes” selon sa sœur Bintou. GS, c’est GSP sans le S, le quartier constitué par les squares George Sand, Louis Pergaud. Par flemme de prononcer le P, les jeunes disent directement GS pour désigner ces deux squares.
L’année dernière, je travaillais le matin et le soir pendant le ramadan, et quand je finissais à 19 h 30, je devais cuisiner, faire le ménage. Je ne dormais pas assez, c’était très fatigant
Sa petite sœur Bintou aussi se lève vers 17 h. Pas plus tard, parce que sa mère ne la laissait pas dépasser cette heure. Tout ce décalage était dû au rythme du ramadan. En effet pendant le ramadan, les musulmans doivent, notamment, respecter les horaires des cinq prières obligatoires et doivent faire aussi d’autres prières surérogatoires, c’est-à-dire supplémentaires. La première prière est la prière de “Fajr” qui doit être accomplie à partir de 4 h. Les musulmans ont jusqu’au lever du soleil pour la faire. C’est ce qui poussait Mariama, Bintou et beaucoup de musulmans à rester éveillés jusqu’à cette heure, au moins. D’autant plus qu’elles n’ont pas école et que certains adultes sont en chômage partiel.
C’est le cas de leur mère, Koumba, qui travaille comme agent d’entretien à Ibis hôtel, pas loin de chez elle, sur la nationale 10. “L’année dernière, je travaillais le matin et le soir pendant le ramadan, et quand je finissais à 19 h 30, je devais cuisiner, faire le ménage. Je ne dormais pas assez, c’était très fatigant”, se souvient-elle. “En plus, c’était la période où les enfants étaient à l’école, mes filles ne pouvaient pas m’aider“. Cette année, au contraire, elle peut dormir plus longtemps et dit s’être bien reposée. “Comme mes enfants sont grands maintenant, ils font tous le ramadan, sauf le plus petit, explique-t-elle. Quand il se réveille, il se fait à manger tout seul, il regarde la télé tranquillement, joue à la Playstation“.
Une fois debout, Bintou et sa grande sœur, Mariama se préparaient et font un peu de ménage, puis prennaient les ablutions avant la deuxième prière, de “Dohr”, à faire à partir de 14 h. Après cela, Mariama “attaque” le ménage pendant 1 h à 1 h 30. Ça l’occupait, dit-elle, et “dans tous les cas, ma mère va me dire de le faire”. Les tâches ménagères constituaient une partie importante de leur première partie de journée. Les deux sœurs se partagaient ces tâches, notamment la vaisselle. Elles ont un lave-vaisselle, mais parce que c’est une famille de 6 personnes et que parfois, elles avaient des invités qui venaient rompent le jeûne chez eux, les plats utilisés sont grands et ne rentraient pas dans la machine. “On fait chacun son tour, par exemple un jour, je fais la vaisselle, elle fait le ménage, et un autre jour moi je fais le ménage et Mariama fait la vaisselle” explique Bintou.
Après une douche et des ablutions, vers 18 h, elle faisait la troisième prière, de “Asr”, avant de sortir faire les courses, “au moins deux fois par semaine. Dés fois on y va tous, des fois, ce sont les enfants qui les font” raconte la mère des deux ados, « mais c’était rare que j’aille au magasin pendant le confinement. Le plus souvent, c’est Mariama qui part faire les courses parce que Bintou n’aime pas les faire” s’amuse-t-elle. Pendant le ramadan, elles faisaien les courses en fonction de ce qu’ils allaient manger pour le Ftour, le moment de la rupture du jeûne. Le plus souvent c’est Mariama qui les faisait avec la carte bleue de son père, soit à « Top frais », petit magasin à côté de chez eux, soit au Carrefour du quartier des Merisiers, à proximité, ou bien un peu plus loin à Saint-Quentin-en-Yvelines.
On nous surnomme « la famille salade » parce qu’on aime trop ça.
Pendant ce temps Bintou, commençait à cuisiner. Elle lavait les légumes, les épluchait, les coupait. En même temps, “j’envoie des messages à mes copines, voir si elles ont besoin de moi, pour que je les accompagne quelque part” ajoute-t-elle. Mais c’est Mariama, la grande sœur, qui choisissait ce qu’ils allaient manger : “parce que ma mère s’en fiche un peu et Bintou aussi” précise-t-elle. Sa petite sœur Bintou s’en amuse : “Quand je vous dis qu’on fait de la salade, c’est vraiment tout le temps, tout le temps, parce que ma sœur elle kiffe ça. ”. De la salade avec du poulet, des frites, du concombre, des tomates : “la totale quoi ”. Sinon, elles préparaient d’autres plats sénégalais comme “le thieb”, “le yassa” et des petits trucs à grignoter : des nems, des briques, des mini croissants, des quiches, accompagnés de boissons africaines, du jus de bissap, de gingembre, du thiakry. Quand Bintou finissait de faire ce qu’elle à faire, elle rejoignait sa sœur dehors, et toutes deux rentraient vers 20 h.
Mariama rentrait généralement, avant, vers 19 h. Elle faisait ses courses “en vite fait”, sauf quand elle partait avec ses copines. Alors, « ça prend plus de temps parce qu’on traîne sur le chemin”. Elle se souvient s’être fait cinq fois courser par la police : “des fois ça fait rire quand je suis avec mes copines, c’est trop drôle”. Elle sortait dehors jusque 20 h, même pendant le confinement. “ Je ne peux pas ne pas sortir dehors, je n’arrive pas, même si j’ai la cuisine à faire. Et de toute façon sur l’attestation, on avait le droit de sortir pendant 1 h pas loin de chez nous” ajoute-t-elle.
Comme la rupture du jeûne était à 21 h 35, une fois rentrée Mariama mettait son tablier et finissait la cuisine. Vers 21 h 20, les deux sœurs dressaient la table. A l’heure de la rupture, “nous, on fait la sunna”, rituel consistant à rompre le jeûne en mangeant des dattes ou des fruits et ensuite boire de l’eau, avant de commencer la prière de “Maghreb”, après que chacun ait fait ses ablutions, à tour de rôle, dans la salle de bain. “Le temps que les autres finissent de prendre les ablutions, bah moi, je grignote un peu” ajoute Mariama. Une fois la prière effectuée, ils mangaient ensemble pendant une petite demi-heure. Mais il y avait toujours des petites choses de disponible à grignoter. Bintou essayait pourtant de ne pas trop manger, “parce qu’après, à 23 h, on va prier la “Isha” et le tarawih et quand t’as le ventre trop plein, c’est dur de faire la prière. On a envie de vomir. Du coup moi, je ne me cale pas trop” souligne-t-elle. Le tarāwīḥ est une prière supplémentaire d’une heure qui ne se fait que pendant le mois du ramadan, après celle de “Isha”, la dernière prière de la journée, à 23 h. Ces deux prières sont effectuées l’une à la suite de l’autre. “Mon frère aîné vient tous les jours à cette heure avec sa femme pour diriger la prière” ajoute Bintou. Au deuxième rang, il y avait leurs deux autres frères, au troisième rang, leur belle-sœur et leur mère. Enfin, au dernier rang, il y avait Diouka, Bintou et deux de leurs copines voisines qui habitent l’étage au-dessus du leur. Parfois, deux de leurs cousins venaient rompent le jeûne avec eux et priaient la Isha et la tarawih ensemble.
Lors des derniers ramadans, Bintou et Mariama faisaient la longue prière du tarawih à la mosquée : “c’est un moment de partage avec tout le monde”. Après la mosquée, le soir elles allaient manger sur place ensemble, au grec, avec leurs copines. Avec le Covid, elles ne peuvent que prendre à emporter. “C’est pas convivial”, déplore Mariama.
si tu ramènes une amende ici, t’es morte
Après ces deux prières, vers minuit, les deux sœurs pouvaient rester à la maison entre copines à faire des jeux de société, du baccalauréat, des tiktok, à écouter de la musique. En période de jeûne, elles n’ont pas le droit d’écouter de la musique. Du coup la nuit, hors période de jeûne, elles en profitaient. “Si je ne sors pas avec ma sœur, raconte Bintou, je vais être sur Snap jusqu’à 1h-2h, au téléphone avec mes potes jusqu’à 3 h, ou bien lire des chroniques, écouter de la musique, jouer à la Play”. Pendant tout ce petit moment, Koumba regardait la télé ou elle jouait avec elles. Parfois, elles sortaient dehors : “je vais chez mon amie qui habite à même pas deux minutes de chez moi” raconte Mariama. “Dès fois, on va chercher nos commandes avec Bintou” : du tiramisu, du milk-shake vers 0 h 30, “on peut aller à Platane”, un restaurant grec réputé de Trappes pas loin de la gare, “acheter des milk-shakes. Vers 3 h, on rentre chacun chez nous pour manger, parce qu’à partir de 4 h, on n’a plus le droit ” raconte Mariama.
Le ramadan a débuté pendant le confinement, mais s’est terminé en période de déconfinement. Mariama et sa sœur Bintou trouvent que la seule chose qui a changé, c’est de ne plus avoir besoin d’attestation, ni de se faire courser par la police : “En vrai ce qui a changé, c’est de ne plus faire attention quand on sort” ajoute Mariama, “mama elle me bloquait pas, mais elle se disait dans sa tête : “si tu ramènes une amende ici, t’es morte” . D’ailleurs Koumba trouve ça mieux de ne plus craindre les amendes et de ne plus se soucier de remplir l’attestation : “dès fois, j’avais envie de sortir faire les courses, mais si les enfants ne sont pas réveillés, je ne peux pas sortir, car je ne sais pas le remplir” s’amuse-t-elle.
Au début du confinement, j’étais pas à fond sur mes devoirs
Pour Mariama, élève de troisième, une autre chose a changé entre le début du confinement et la période actuelle. Au début du confinement, elle faisait ses devoirs, mais depuis que le ramadan a commencé, elle ne les fait plus : “Au début, je n’avais pas besoin de faire à manger tout le temps donc j’avais le temps, je n’étais pas tout le temps fatiguée. Je me réveillais à 15 h maximum” avoue-t-elle. En plus de ses devoirs de troisième, elle devait aider son petit frère en classe de CM1 à faire les siens. “Depuis que le ramadan a commencé, j’ai arrêté” souligne-t-elle. L’adolescente avoue par ailleurs que ça l’arrange de ne pas avoir cours pendant le ramadan, parce que pendant l’école, “on ne peut pas beaucoup aider mama”, alors que leur mère travaillait. ”Dès fois, on rentrait tard de l’école, et on ne pouvait pas trop l’aider à tout préparer parce qu’on était hyper fatiguées. Ce qui est bien dans ce ramadan, c’est qu’on peut dormir jusqu’à quand on veut, car il n’y a pas l’école, et on peut aussi aider mama”, conclue-t-elle.
Bintou trouve aussi le ramadan pendant l’école très fatigant “parce qu’on doit se lever pour aller à l’école alors qu’on se couche minimum à 1 h”. De plus, quand elles rentrent elles doivent faire leurs devoirs, faire le ménage, faire à manger… “ Pourtant, l’école et le ramadan en période de confinement n’ont pas non plus fait bon ménage pour Bintou. “Au début du confinement, j’étais pas à fond sur mes devoirs”. Des problèmes de matériel informatique ont aussi joué un rôle dans ce décrochage : “sur mon ordinateur, je ne peux pas prendre de photos. Un jour, j’ai fait mon travail et comme j’avais pas d’ordinateur j’ai envoyé mon travail à une camarade sur snap pour qu’elle l’envoie à ma prof, raconte-t-elle, « mais elle l’a envoyé à toute la classe, et il se sont distribués mon travail ”déplore-t-elle. Du coup, elle a “lâché l’affaire. Je n’envoie plus rien à personne. S’il y a des cours à imprimer, je les imprime et c’est tout“.
Ce vendredi 22 mai, lors de la nuit du doute, elles ont appris au dernier moment du conseil français du culte musulman et la grande mosquée de Paris que l’Aïd aura lieu non pas le lendemain samedi, mais dimanche. Cette fête, qui marque la fin du ramadan, Mariama, Bintou et Koumba l’ont préparée toutes les trois, heureuses de le passer en famille. “ Moi je kiff l’Aïd, c’est un truc que tu passes en famille et tous, les cadeaux…” s’emballe Bintou. Ce qu’elle trouve néanmoins dommage, c’est de ne pas pouvoir aller à la mosquée. “Moi, j’aime trop aller à la mosquée le matin de l’Aïd. C’est un truc qui fait que je suis pressée de me lever. Cette année, j’ai le seum”.
Kandia Dramé