Poussé à mettre un terme à ses études pour commencer à aider financièrement ses parents
Pour venir en aide à ses parents et sa famille en difficultés financières, un jeune habitant le quartier Léo Lagrange à Trappes a, comme tant d’autres, dû arrêter temporairement ses études et prendre un poste de livreur. Portrait.
« Toute la journée, je suis assis dans le camion à conduire. En sortant du travail, ça me fait du bien de jouer au foot et de pouvoir courir. » Ce mercredi en fin d’après-midi dans le quartier de Léo Lagrange, un des plus populaires de Trappes, un grand match de foot de plus de 30 personnes était organisé par les garçons du quartier de 15 – 25 ans, dans le city-stade de leur quartier, pour attendre l’heure de rompre le jeûne en cette période de ramadan. Ce jour-là, la coupure a eu lieu à 21h15. Bien que de parents chrétiens, Daniel (le prénom a été modifié), qui a grandi dans ce quartier depuis qu’il est né, a pour habitude de jouer au foot pour attendre avec ses copains l’heure de manger. Fatigué de courir derrière la balle, Il finit par s’assoir et regarde ses amis jouer.
Depuis 10 mois, le jeune homme de 19 ans n’est plus scolarisé, après avoir mis fin au contrat d’alternance de sa première année de BTS Comptabilité et Gestion. Pour lui, « impossible de demander à mes parents de l’argent pour mes sorties avec mes copains ou ma copine. Je voulais directement travailler pour pouvoir gagner de l’argent. »
Pourtant, tout avait plutôt bien commencé côté études. Il prend rendez-vous avant les épreuves du bac au centre d’information et d’orientation d’Élancourt, une ville voisine, pour être une formation qui pourrait lui plaire. « Je savais que sortir de l’école juste avec un bac, j’allais galérer à trouver un travail » constate-t-il. S’il n’a pas lâché tout de suite, c’est grâce à ce dispositif et à la personne qui l’a accompagné pour refaire son CV et une lettre de motivation, avant de postuler pour des BTS.
« Je me suis inscrit dans une école privée sur internet et j’ai passé un test dans une école à Rambouillet. Je ne suis pas passé par Parcoursup, parce que je me suis réveillé trop tard, concède-t-il. » Il est pris dans cette école, sous réserve de trouver une entreprise acceptant de le prendre en alternance, « sinon on doit quitter la formation en plein milieu de l’année », explique-t-il.
"Je voyais que quand elle recevait les factures, elle était un peu stressée, et elle faisait moins de courses."
Plus de deux mois après son admission à l’école et à deux jours de son départ en vacances la bonne nouvelle tombe. Il finit par être accepté par Thalès, à Élancourt, une entreprise partenaire de son école. « J’ai fait au moins dix entretiens, j’en pouvais plus, j’étais démoralisé et certain de ne pas être à la hauteur. Avant d’aller à chaque entretien, je m’entraînais devant mon miroir à me présenter, répondre aux questions courantes d’un entretien, et j’ai trouvé 3 qualités et 3 défauts avant. »
Après un an de formation, il se rend compte que sa mère, aide-soignante dans un Ehpad âgée de 59 ans, connaît des difficultés financières. Même s’il souligne qu’à la maison, l’ambiance n’a pas changé, « je voyais que quand elle recevait les factures, elle était un peu stressée, et elle faisait moins de courses. Elle me rappelait sans cesse que je devais un peu l’aider ». Et puis les parents de Daniel se sentent responsables de l’aide financière à apporter à leurs parents malades ou isolés restés dans leur Congo natal.
Côté ressources, Daniel, le petit dernier de la famille, a deux de ses grands frères qui ne vivent plus à la maison. Quant aux deux autres encore logés chez leurs parents, l’un travaille dans la communication pour entreprises et l’autre dans la restauration, deux secteurs totalement en arrêt depuis plus d’un an à cause de la pandémie. « Je suis le seul de mes frères qui peut donner de l’argent à ma mère, et avec mon père à la retraite qui gagne très peu, ce n’est pas facile. Mes grands frères, ils aidaient mes parents quand j’étais plus petit. Donc j’estime que c’est mon tour. J’ai donné ma démission à mon travail, et je ne suis plus allé à l’école », tranche-t-il.
Pourtant, sa mère, contrainte parfois de faire des journées de douze heures, notamment quand on lui propose des vacations dans d’autres Ehpad à Paris, ne souhaitait pas que son enfant mette un terme ses études. Le jeune homme a lui aussi conscience des inconvénients liés à sa décision : « J’étais vraiment déçu d’arrêter l’école et ça me manque de pouvoir être avec des gens de mon âge, et d’avoir l’impression d’avancer dans la vie. » Mais les salaires en alternance – environ 650 euros pour quelqu’un en première année et 750 euros en deuxième année de BTS – sont trop faibles pour pouvoir aider une famille de cinq adultes tout en ayant la possibilité de vivre sa propre vie.
"Ma mère achète seulement ce qu’il faut de base. Ce que je donne complète"
Daniel souhaitait trouver un travail lui permettant de gagner au moins un SMIC. « Avec le confinement, c’était pas facile. Heureusement que j’avais un peu d’argent de côté pour payer l’assurance et l’essence de ma voiture pendant quelques mois. » L’ancien étudiant fini par décrocher un entretien puis un emploi chez Chronopost, qui recherchait plus de chauffeurs du fait du confinement, payé un peu plus qu’un SMIC. « Ils ont mis grave de temps à me faire signer les papiers du contrat. J’avais presque plus d’argent sur mon compte », se remémore-t-il.
Depuis qu’il est livreur, il peut se permettre de donner 200 euros à sa mère chaque mois « Ma mère achète seulement ce qu’il faut de base. Ce que je donne complète. En plus, je fais les courses pour pouvoir acheter du jus, des bonbons, des céréales, tout ce qui peut faire plaisir à moi et à mes frères ». Au total, ça fait à peu près 400 euros de dépenses par mois consacrées aux courses et à l’aide de sa famille.
Et puis ce métier a des avantages à ses yeux : « Je finis tous les jours maximums à 13h. Du coup, ça me laisse mon après-midi », même si « il faut être à 6h pile au dépôt pour trier les colis. » La livraison commence vers 8h jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de colis à livrer, « en général, il est 12h ou 13h ». Parfois, Daniel fait des extras et passe dans les entreprises ramasser leurs colis avant de les envoyer. « Je finis vers 17h quand je fais ça », explique-t-il.
Le jeune Trappiste rêve de pouvoir reprendre ses études et changer de travail. « Ça fait quelques mois et j’en ai déjà marre », assène-t-il. D’autant qu’un de ses grands frères habitant à Bordeaux avec sa femme et ses enfants lui a demandé de reprendre l’école, se chargeant d’aider sa mère si elle avait besoin d’argent. Par ailleurs, « il y a quelques jours, l’un de mes grands frères à trouver un poste de caissier à Auchan, près de chez moi. Alors ma mère m’a dit que je pouvais reprendre l’école en alternance si je voulais. »
Daniel compte se remettre à postuler pour cette nouvelle année. Il a déjà trouvé une école à Poissy pour un BTS dans le domaine commercial, et est à la cherche d’une alternance. « La recherche d’alternants dans les entreprises commence en ce moment, il faut que je me dépêche, » explique-t-il. Instruit de la difficulté du métier de livreur, cette fois, il en est sûr, il finira ses deux années, coûte que coûte. « Je veux bien gagner ma vie. Je ne veux pas galérer comme aujourd’hui et faire vivre cette situation à mes enfants. Peu importe ce qui se passe, je vais finir et obtenir mon BTS. Même si je dois gagner moins d’argent qu’aujourd’hui »
Natacha Nedjam