« Ça arrange beaucoup ma mère que je ne travaille pas plus »


Nathéa٭, 19 ans, est actuellement en deuxième première année de droit après avoir raté sa première année du fait de son travail dans un Ehpad lors de la première vague du Covid. Elle y travaille encore.

 

« J’ai vraiment peur pour les partiels de la semaine prochaine » me confie Nathéa, 19 ans à quelques jours de ses partiels de licence, en jouant assise dans le sable avec un seau et un râteau, à Pornic, dans la maison de vacances de ses grands-parents le temps d’un week-end entre copines, bien loin de sa fac de Nanterre où elle suit ses études de droit, du quartier Orly Parc où elle habite, à la Verrière et plus loin encore de travail dans une maison de retraite à Saint Quentin en Yvelines.

Nathéa doit passer les épreuves de sa première et deuxième année en même temps puisqu’elle n’a « pas validé la totalité de mes matières l’année dernière. Mais c’est vraiment plus compliqué, souligne-t-elle, car qui dit deux années dit deux semaines de partiel à la suite. » Avant de partir, Nathéa a passé ses partiels de première année. En rentrant, « j’enchaînerai avec les partiels de la L2. Donc il faut réviser pendant les vacances » conclut-elle en souriant. Du coup, Nathéa ne cesse de réviser depuis un mois pour essayer de réussir ses deux partiels. Pour le moment, Nathéa profite de ces derniers jours avec ses amies pour se balader au bord de la mer et découvrir les ruelles de Pornic. Pas facile cette année de fac, « car tous nos cours sont en distanciel depuis le début de l’année, j’ai dû voir cinq fois l’université ». Un avantage tout de même à ses yeux, le trajet, « quand même long quand on n’a pas le permis. Et puis c’est une grande université, Nanterre, il y a beaucoup d’élèves de licences là-bas, donc il y a aussi beaucoup plus de risques d’attraper la Covid. »

"ça va beaucoup mieux qu’a la première vague, il n’y a pas de cas de Covid pour moment ni chez les personnes âgées ni chez les soignants"

Nathéa travaille dans un Ehpad à Montigny le Bretonneux « obligée de trouver un travail régulier », elle qui n’a pas la chance d’avoir des parents pouvant l’aider à « payer le permis, payer le shopping, les restos » rêve-t-elle en levant les yeux au ciel. Durant la première vague du Covid-19, elle s’est beaucoup investie dans son travail et elle n’a pas vraiment pu réviser ses partiels l’année dernière. Même en passant au rattrapage, elle n’a pas validé toutes les matières. Cette année, elle a continué à travailler dans cet Ehpad, mais un peu moins : « Quand la directrice m’appelle pour faire des vacations parce qu’il manque beaucoup de personnels, parce que les personnes à risques ou celles qui ont un mari ou des enfants ont peur d’attraper la Covid, c’est souvent le week-end, car la semaine je suis en cours » explique-t-elle en jouant à soulever du sable entre les doigts de ses mains. Et puis, autre différence selon elle, « ça va beaucoup mieux qu’a la première vague, il n’y a pas de cas de Covid pour moment ni chez les personnes âgées ni chez les soignants. » Ce qui ne l’empêche pas d’avoir un protocole sanitaire strict à respecter, consistant à changer toutes les 4 heures de masque, à faire le ménage tous les jours dans les chambres ou dans les couloirs, et d’assurer une distance de deux mètres entre chaque résident, « et quand on fait des jeux l’après-midi avec les personnes âgées on doit tout désinfecter entre chaque personne » Les journées sont longues et fatigantes, se plaint-elle.

"Je travaille de 8h à 20h, je suis trop fatiguée pour travailler mes cours le soir après."

Cette année comme l’année dernière, enchaîner travail en Ehpad et études reste difficile pour elle : « c’est souvent le week-end qu’on a des devoirs à rendre, des matières à réviser. Je travaille de 8h à 20h, je suis trop fatiguée pour travailler mes cours le soir après. C’est pour ça que cette année, je refuse beaucoup de week-ends, surtout dans cette période de partiels » dit-elle en haussant les épaules et en montant, couvre-feu oblige, la grande pente qui sépare la plage de la maison, à quelques minutes de marche. « D’un côté, ça arrange beaucoup ma mère que je ne travaille pas plus, puisque c’est une personne à risque, en tant que diabétique. Quand je rentre à la maison après le travail, elle doit tout désinfecter, je mets tous mes habits au linge sale, je n’ai même pas le droit de l’approcher. »

Une fois rentrée dans cette grande maison de campagne, Nathéa s’assoit sur le fauteuil du salon et enchaîne sur un sujet qui lui tient à cœur : « Avec la Covid, j’ai pris du retard sur l’obtention de mon permis. Je l’ai déjà passé une première fois avant le deuxième confinement, mais je l’ai raté » se remémore-t-elle d’un air déçu. « Franchement, j’en ai marre du permis. Je suis démotivée depuis que je l’ai raté. Et il faut que je reprenne des heures et ça coûte super cher, 53 euros l’heure » Les chiffres se multiplient dans sa tête « D’après mon moniteur, je dois en passer au moins deux. Mais avec le confinement ça fait plus de deux mois que je n’ai pas conduit. Je pense que je vais devoir en prendre plus. » Elle en profite pour regarder son emploi du temps du semestre prochain sur son téléphone. « Je vais devoir travailler pendant quelques week-ends, c’est sûr. Il faut que je m’organise après les partiels. Je ne sais pas comment je vais faire. » Surtout qu’avec la Covid, il n’y pas beaucoup de date pour passer le permis. Et comme Nathéa l’a raté une première fois, elle n’est pas prioritaire. Elle espère pouvoir le passer avant un éventuel reconfinement et la reprise des cours en amphi et en TD, si jamais les cours reprennent cette année. « Ils m’ont dit que les prochaines dates de permis ne sont que mis février », précise-t-elle en beurrant un toast pour l’apéro du soir.

"Souvent, pendant le confinement, je me sentais seule."

Si Nathéa a besoin de son permis de conduire, c’est qu’elle étudie à Nanterre, qu’elle travaille à Montigny-le-Bretonneux alors qu’elle habite toujours à la Verrière, petite ville des Yvelines, chez sa mère, retraitée domaine des assurances. En plus de sa mère, Nathéa a passé les deux confinements et les périodes de couvre-feu avec sa sœur jumelle, et le copain de celle-ci. Sa sœur est en première année de formation au métier d’éducatrice spécialisée pour des personnes handicapées. Elle souhaiterait travailler dans la protection de l’enfance ou dans le domaine de l’insertion. « Elle est en stage depuis plus de deux mois environ dans un foyer d’accueil médicalisé qui accueille des adultes autistes. » Nathéa, elle, ne sait pas encore bien ce qu’elle veut faire avec ses diplômes de droit. « Avec ma sœur, on est très proches, mais on a aussi une relation très conflictuelle, sûrement parce qu’on a le même âge. Il y a un peu de rivalité, c’est normal », relativise-t-elle disposant le couvert sur la table en bois de la grande salle à manger.

Dans son appartement de la Verrière, le confinement et le couvre-feu ont fait parfois monter la pression d’un cran, à force de devoir faire toujours la même chose, à regarder « des séries ou des animés comme HunterXhunter ou Bates Motel. Sinon j’allais travailler ». C’est dans ces moments-là que l’école en présentiel lui manquait beaucoup, « mes sorties avec mes copines aussi. Souvent, pendant le confinement, je me sentais seule. En plus, j’étais en pleine rupture avec mon ex-copain, c’était horrible. » Nathéa a une autre sœur de 25 ans et deux nièces de 2 ans et 6 mois, qui habitent vers Paris. « On ne les a pas vues pendant plus de 2 mois avec le confinement. C’est dur pour ma mère et surtout pour les petites. » Nathéa n’a pas vraiment hâte de rentrer chez elle. La sono sur le meuble du salon, les canapés poussés dans les angles de la maison pour laisser place à une piste de danse, elle préfère ne pas penser au stress des partiels qui ne vont pas tarder à revenir, et profite de cette fin de week-end bien ambiancé avec ses amies, la musique à fond dans le salon, pour danser, chanter et oublier l’espace d’un instant le quotidien ennuyeux. Elle me confiait, quelques minutes plus tôt : « J’espère que je vais réussir mes deux années parce que sinon j’aurai raté deux ans dans mes études, et je ne suis pas sûr d’avoir la force de continuer. »

٭(le prénom a été modifié)

Natacha Nedjam


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