Fille de pas de quartier : “La fille dans les familles, c’est comme une deuxième maman”
Salimata*, 21 ans, habite à Trappes depuis 6 ans, après son arrivée de Côte d’Ivoire. Elle explique son rapport aux garçons et à la pression sociale qu’elle ressent dans son quartier.
Est-ce que tu te sens libre dans ton quartier ?
Moi, je ne fais pas mes activités dans le quartier parce que quand je passe dans le quartier, j’ai l’impression qu’on me regarde, alors ce n’est pas forcément le cas. Quand je veux faire du vélo ou de la trottinette électrique par exemple, je préfère m’éloigner du quartier et aller le faire ailleurs, parce que tout le monde se connaît et c’est gênant. Pas parce qu’on me l’interdit, mais juste parce que je me sens plus libre comme ça.
En quoi les filles n’ont pas les mêmes droits que les garçons dans le quartier ?
Les filles et les garçons n’ont pas du tout le même droit. Je croise presque jamais de filles qui trainent dehors, à part des enfants. C’est tout le temps les garçons qui sont là H24. On a l’impression qu’ils ne travaillent pas et qu’ils n’ont rien à faire. Quand je sors, c’est pour aller à l’école ou au travail.
Pourquoi les filles n’ont pas autant le droit de traîner dans le quartier que les garçons selon toi ?
Je dirais pas qu’elles n’ont pas le droit de traîner dehors, je dirais que les filles ont plus de responsabilités que les garçons. Les garçons ont moins de responsabilités à la maison par rapport aux filles, donc plus de temps pour traîner dehors. Les garçons sont incités à travailler et chercher de l’argent alors que les filles sont plus poussées à faire des longues études et elles ont plus de pression pour réussir dans les études.
Est-ce que tu sens une pression sociale au niveau de l’habillement quand tu es dans ton quartier ?
Non pas vraiment. Après je porte le voile donc je m’habille toujours large. Mais je sais que même si j’étais pas voilée, je ne pourrais pas m’habiller avec des vêtements serrés ou courts, parce que dans ma famille on s’habille pas comme ça. Cela dépend des familles.
Le garçon, on va l’inciter à aller jouer et les filles à être plus responsables et à s’occuper de la maison.
Pourquoi est-ce que les liens des filles et des garçons ont changé en grandissant, selon toi ?
Je pense que c’est à cause de la puberté. J’ai pas une autre explication. Mais par exemple moi dans ma famille, l’amitié fille garçon ça n’existe pas !
Quels sont tes rapports avec les garçons du quartier ?
Y’a pas de rapport. Juste je les salue quand je passe parfois. Mais ça s’arrête là.
Est-ce que tu t’imagines traîner avec un garçon dans le quartier ?
Non (rires). Là, mon père il va me tuer.
Par qui te sens-tu le plus surveillée dans le quartier ? Tes parents, tes grands frères, d’autres filles ?
Moi je sors pas, donc j’ai personne qui me surveille. Mes parents ne nous interdisent pas de sortir, mais ils n’aiment pas qu’on traine dehors. Ils ne mettent pas de différences entre mes frères et moi pour sortir, mais quand je sors, j’ai plus de pression de mes parents pour rentrer tôt que mon grand frère. Lui, il peut même dormir chez ses copains, c’est pas grave.
Moi j’ai un grand frère de 24 ans qui n’habite plus avec nous, mais il ne traînait jamais dans le quartier même quand il était là. C’est quelqu’un de très réservé et même quand il sortait il ne restait pas dans le quartier. Il sortait voir ses amis qui sont pas dans le quartier. Il ne voulait pas traîner avec les garçons de mon quartier parce qu’ils n’ont pas une très bonne image.
J’ai aussi un petit frère de 12 ans qui aime bien sortir mais mes parents le surveillent beaucoup parce qu’il est encore petit. Car dès le jeune âge certains commencent à nourrir une haine envers les autres quartiers et ils grandissent avec ça.
Les filles sont beaucoup plus encadrées que les garçons. Voilà pourquoi elles ont moins de liberté que leurs frères
Est-ce que tu as l’impression que les filles doivent faire plus de tâches ménagères que leurs frères ?
C’est pas une impression, c’est un fait. Les filles font plus de tâches ménagères que les garçons. Le garçon, on va l’inciter à aller jouer et les filles à être plus responsables et à s’occuper de la maison. Ça a toujours été comme ça, donc c’est ancré dans la tête. C’est une charge mentale que les garçons n’ont pas. Même quand les garçons vont participer aux tâches ménagères, ils vont croire que c’est exceptionnel, que c’est une aide, alors que c’est normal.
Pourquoi est-ce que les garçons ont plus de liberté que les filles au sein des familles ?
Les filles sont beaucoup plus encadrées que les garçons. Voilà pourquoi elles ont moins de liberté que leurs frères, que ce soit pour s’occuper de la maison ou pour les études. Les garçons, on ne leur demande pas de cuisiner ou de faire la vaisselle. Le garçon va pouvoir sortir et rentrer quand il le souhaite. Mais cela dépend des familles.
Quel est le statut des filles dans les familles par rapport aux garçons selon toi ?
La fille dans les familles c’est comme une deuxième maman. Par rapport aux frères et sœurs, c’est la maman. Même pour mon grand frère je suis sa maman. Par exemple pour mon père, si ma mère n’est pas là, c’est moi qui vais lui donner à manger. Ma mère elle le dit : « c’est Salimata votre maman si je suis pas là ».
Est-ce que tu as vécu ou tu as été témoin de violence, physique ou psychologique, des garçons envers les filles, soit au sein de couples, ou bien pour « jouer » ?
J’ai jamais été victime de ça et je n’ai pas été témoin non plus car je traîne pas dans le quartier tout simplement.
Propos recueillis par Kandia Dramé
*le prénom a été modifié