Comme chaque année, un groupe d’élèves du lycée général et technique Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie ont suivi la préparation au concours d’entrée à Sciences-Po Paris. Cette année, quatre y sont entrés.
“Ma famille voyait Sciences-Po comme un idéal. J’entendais : « Sciences-Po, c’est la porte de la réussite »“ explique, souriante, Rita. Élève en terminale économique et sociale, elle s’est lancée en septembre 2019 dans la procédure Convention d’Éducation Prioritaire (CEP) proposée par son lycée, St-Exupéry, à Mantes-la-jolie, dans le but d’intégrer Sciences-Po Paris pour l’année 2020 – 2021. Au début de l’année ce sont 28 élèves de terminale qui ont tenté cette aventure. 15 ont finalement passé les épreuves en fin d’année, et ils sont 4 à avoir gagné le ticket d’entrée à Sciences-Po pour l’automne prochain.
Ce n’est pas seulement pour le symbole d’excellence que représente cette institution que Rita s’est lancée dans la prépa, mais aussi pour ce qu’elle pouvait en tirer. Assez peu sûre d’elle-même à la base, elle savait qu’elle allait ressortir de cette formation avec de nouvelles capacités et de nouvelles ambitions : “Même si je n’arrivais pas à intégrer l’école, je savais qu’à la fin, je n’allais pas regretter car je me serais confrontée à d’autres personnes lors d’un concours très sélectif. J’allai apprendre à parler à l’oral, à développer mes capacités rédactionnelles pour mes futures études, et surtout ma confiance en moi.”
"j’ai choisi les Kurdes. Ça m’a fait me spécialiser sur l’histoire du Moyen-Orient"
Rita, comme les autres, allait être amenée à travailler pendant six semaines sur un sujet d’actualité de son choix. “Je n’ai pas décidé de m’intéresser au sujet le plus facile quand j’ai choisi les Kurdes. Ça m’a fait me spécialiser sur l’histoire du Moyen-Orient, que j’affectionne aujourd’hui. Tout ça, ça ne pouvait être que du positif”, argumente Rita. En sortira un dossier de presse d’une centaine de pages composé d’une vingtaine d’articles de presse, une note de synthèse regroupant les informations principales de ces articles, ainsi qu’une note de réflexion analysant une partie spécifique du sujet initial. Rita a choisi de traiter le sujet des combattantes kurdes et de leurs représentations dans les pays Occidentaux.
Malgré ses motivations à intégrer l’école Rita n’a pas passé l’oral d’admissibilité qui a eu lieu dans les locaux de son lycée, la première étape pour être acceptée à Sciences-Po dans le cadre de la procédure CEP. Le grand frère de Rita, 22 ans, avait déjà deux fois tenté de l’intégrer. En 2016 quand il était en terminal au lycée militaire de St-Cyr, puis cette année pour suivre un master en relations internationales. “Il fallait que je suive l’exemple. Et c’est vrai que l’on peut faire plein de choses après cette formation pluridisciplinaire. Ça donne envie !” reconnaît-elle.
Yanis, 17 ans, habite lui aussi à Mantes-la-jolie, dans le calme quartier résidentiel de Gassicourt. Dans la même classe que Rita depuis le début du lycée, il a lui aussi tenté la formation offerte aux terminales par le lycée St-Exupéry depuis 2001, “parce qu’en seconde, je considérais Sciences po comme l’école de l’élite”. Ce vendredi 26 juin, au côté de trois de ses camarades de promo, dont un élève de terminale en section STMG, il a appris qu’il était admis à Sciences-Po Paris pour la rentrée prochaine. Ambitionnant de devenir commissaire de police, Sciences-Po correspond à son plan de carrière. Il espère aussi que cette formation puisse lui permettre “ d’apprendre de façon concrète, contrairement au lycée, qui me correspond plus.”
"Au début je ne me sentais pas légitime. Pendant ma scolarité, j’ai toujours ressenti et entendu parler de la discrimination sociale du fait de venir de Mantes-la-jolie"
Sena aussi, tout juste 18 ans, dont les parents ont immigré de Turquie depuis une vingtaine d’années, intégrera l’école à l’automne. Pourtant lorsque la formation s’est offerte à elle en début de terminale économique et sociale, cette élève boursière vivant dans le quartier du Val fourré à Mantes-la-jolie, ne s’imaginait pas étudier là-bas : “Au début je ne me sentais pas légitime. Pendant ma scolarité, j’ai toujours ressenti et entendu parler de la discrimination sociale du fait de venir de Mantes-la-jolie, que ce soit par des professeurs ou par des anciens lycéens aujourd’hui dans le supérieur. Mais ce dispositif est fait pour palier ça. Donc je me suis dit : « il y a des bons partout, ce n’est pas parce que je viens de Mantes que je vais me censurer ».” Sa persévérance est principalement née du soutien des professeurs engagés dans le dispositif qui ont pour objectif chaque année de permettre à leurs élèves d’intégrer des filières d’excellence : “Dès le tout début ça m’a permis de croire en moi, et donc d’être motivée pour travailler lorsque ça devenait plus intense”.
Sena, comme les autres élèves de la prépa, a été accompagnée par deux professeurs qui l’ont suivi personnellement dans la construction de son dossier de presse, dont le thème est la place de l’Allemagne en Europe. “On était aussi proches avec les profs qu’avec des amis. On a dépassé le cadre scolaire. Ce n’était pas des profs mais des encadrants. J’étais donc plus à l’aise. On voyait des jurys un mercredi après-midi sur deux pour des oraux d’entraînement, et nos profs référents une fois par semaine pour des rendez-vous personnels” explique-t-elle, reconnaissante. Selon elle, cet accompagnement amical est essentiel dans la mesure où il offre un soutien psychologique constant : “Au début de l’année je voulais arrêter. Puis une première prof m’a dit : « non tu n’arrêtes pas », ensuite un second professeur m’a convoqué lui aussi. On ne m’a pas laissé tomber”, raconte la jeune étudiante de Sciences-Po.
Yanis, pourtant d’un naturel sûr de lui, valorise lui aussi dans cette proximité un soutien moral essentiel : “Le premier objectif des profs était de nous enseigner qu’on était légitimes. Nous n’avons pas les mêmes caractéristiques que les élèves qui sortiront de certains lycées réputés, mais je doute qu’ils aient les mêmes caractéristiques que nous.” Il explique aussi que sa relation d’égalité avec une équipe d’adulte a pu lui faire passer un cap : “Ça m’a apporté de la confiance de voir qu’on pouvait tisser des liens avec l’équipe enseignante sur une base durable, et qu’elle n’était pas aussi inatteignable, ou divine, comme on pouvait le croire.”
"Ma prof référente me rassurait. Elle m’envoyait des messages de soutien et d’encouragement juste avant l’épreuve"
Rita est bien moins confiante de caractère : ““Je paniquais lors des premiers oraux d’entraînement. Je n’ai jamais eu d’aisance à l’oral car ce n’est pas quelque chose qu’on apprend au lycée. C’était tout nouveau, je n’avais pas l’habitude. Je ne m’étais jamais exercée à ça. Je ne m’imaginais jamais passer l’oral d’admissibilité un jour.” Mais elle s’est suffisamment sentie aidée par sa proximité par les enseignants pour persévérer : “Ma prof référente me rassurait. Elle m’envoyait des messages de soutien et d’encouragement juste avant l’épreuve”, se remémore-t-elle. “Maintenant je sais m’exprimer à l’oral et j’ai bien plus confiance en moi.”
Et c’est finalement étonnée, un peu comme Yanis, qu’elle raconte : “je ne me voyais pas un jour créer des liens avec des profs, discuter avec eux autrement que dans le cadre scolaire. On était proches d’eux. C’était inattendu. On avait l’impression d’être sur un même pied d’égalité. On nous prenait au sérieux.” Elle n’a pas manqué de créer par ailleurs des liens avec ses camarades de la prépa : “Être dans la même situation que d’autres, vivre la même chose, la même aventure, stresser ensemble, travailler ensemble m’a fait me rapprocher de personnes que je connaissais déjà avant, mais avec qui je n’avais pas des liens aussi forts qu’aujourd’hui.”
Même si son aventure a pris fin à la suite du premier oral, Rita a continué à suivre et encourager les autres : “j’ai suivi de près l’avancement de certains pour leur oral final à Paris. Avec Sena on en parlait tous les jours. Je la soutenais, j’essayais de la conseiller. Je vivais l’expérience avec elle. On a commencé ensemble. Et même si je n’ai pas pu continuer le concours, j’ai continué de le vivre avec les amis que je me suis fait dans la prépa.”
Cette année se sont ajoutées les difficultés liées à la situation sanitaire. Alors que le pays entier était confiné à cause du Covid 19, les épreuves continuaient tout de même à se dérouler. Sena, malgré le fait qu’elle habite à quelques pas de son lycée fut obligée de rester confinée chez elle avec sa famille : “À cause du confinement je n’étais plus habituée à parler français au moment des entraînements. Je ne parlais que turc chez moi avec ma famille. Ça m’a rajouté une pression supplémentaire car au début j’avais du mal à me réhabituer à trouver mes mots.”
"A un moment on se pense capable d’y arriver puis la seconde d’après on croit qu’on va échouer. Psychologiquement c’est difficile"
Pour Rita aussi le fait de ne pas pouvoir s’aérer l’esprit et vaquer à d’autres occupations a vite été éprouvant : “Le confinement a empiré mon stress. Être enfermée chez soi sans pouvoir se changer les idées et ne penser qu’à ça m’a fait passer par plusieurs phases mentalement. A un moment on se pense capable d’y arriver puis la seconde d’après on croit qu’on va échouer. Psychologiquement c’est difficile”, reconnaît-elle.
On aurait aimé pouvoir se changer les idées, continuer les entraînements en salle” relève Yanis. Les règles sanitaires ont obligé les élèves à rester chez eux et passer les épreuves à distance. “On aurait préféré ne pas passer devant un ordinateur avec le stress des soucis techniques et bugs informatiques.” Ce qui n’était qu’une crainte à la base pour Yanis s’est finalement réalisée : “j’ai eu des problèmes de connexion, comme d’autres d’ailleurs, lors du premier oral en visioconférence face à un jury présidé par notre chef d’établissement. Ça n’a pas été facile de faire avec et d’être aussi à l’aise.”
Dans ce contexte de confinement, Sena reconnaît que la cohésion de groupe a été indispensable au moment de passer les épreuves : “Avec certains ça permettait une stimulation intellectuelle. On faisait des débats, on voyait d’autres points de vue, mais ce n’était pas que ça. On se motivait, on s’envoyait des messages sur notre groupe WhatsApp et sur les réseaux sociaux. On se donnait des conseils, on s’encourageait surtout, on voyait qu’on n’était pas seul. On a passé toute l’année à travailler intensément ensemble, donc on se comprenait. Lire l’actualité tous les jours, connaître chaque recoin de notre sujet, apprendre des dates et événements par cœur afin de pouvoir répondre à chaque question du jury. On était tous dans le même bateau.”
"On a créé une relation d’aide réciproque cruciale dans la traversée de cette épreuve, notamment une aide psychologique"
Yanis explique : “La prépa a un côté très psychologique. Il faut savoir gérer le stress, l’estime de soi. On va découvrir au fur et à mesure de la formation des traits de personnalité, des capacités et des facilités chez nous qu’on ne connaissait pas forcément. Notre personnalité se forge durant l’expérience.” C’est que cette expérience amène les candidats à se construire pendant plusieurs semaines au rythme de leurs introspections. Se retrouver face à des jurys qui vont les juger et être en compétition face à d’autres peut faire douter les étudiants de leur propre valeur. Dans ce cadre nouveau et déroutant, Yanis est d’accord avec les deux filles : “On a créé une relation d’aide réciproque cruciale dans la traversée de cette épreuve, notamment une aide psychologique”.
En effet alors que le premier oral d’admissibilité a eu lieu dans l’environnement connu du lycée et portait sur la maîtrise des connaissances, le second oblige à faire face à un jury entièrement choisi par Sciences-Po, et porte sur la culture générale, la connaissance de l’actualité mais surtout la personnalité du candidat. “Ce deuxième oral a sa part d’aléatoire contrairement au premier, se remémore Yanis. Ils auraient pu me mettre en difficulté sur des sujets de réflexion auxquels je n’étais pas préparés” analyse, soulagé, le nouvel étudiant parisien.
“Dans la seconde épreuve orale d’admission, c’était nous le centre de la conversation” révèle Sena. Mais au terme d’une année riche d’enseignements et d’expériences personnelles, elle se sentait prête : “Au début, le stress de ne pas être à la hauteur était quelque chose d’insurmontable pour moi”, le confinement n’ayant pas arrangé les choses, de nouveaux défauts étant mis en lumière lors des entraînements par visioconférence avec ses professeurs. “Mais plus j’avançais sur mon travail, plus je gagnais en confiance et plus je me sentais capable d’y arriver. Quand j’ai réussi à combattre ce stress en apprenant à me connaître et en comprenant que je pouvais moi aussi réussir, je me suis dit que j’avais réussi le plus difficile. Et que tout devenait possible.”
Heloïse Lefeu