Confinés à jouer


Les jeunes qui passent de nombreuses heures à jouer aux jeux vidéo et à utiliser les réseaux sociaux sont souvent décriés. Pourtant, en temps de confinement, ils trouvent dans leur passion un moyen de supporter l’isolement.

« Mec ils ont arrêté le pays. Donc à un moment donné. Hein. C’est difficile de faire pire. Peut-être une bombe atomique. Une catastrophe ; toutes les centrales qui explosent en même temps !» C’est ce que me balance Axel (les prénoms ont été modifiés), 27 ans, avec son franc-parler et sa préférence pour les phrases courtes et chocs aux longs monologues. Pendant cette période si particulière, il est difficile de ne pas se laisser prendre par une discussion qui se rapporte à l’actualité. Pourtant, pour lui, qui habite seul dans un appartement dans lequel il vient d’emménager à Lyon, il n’existe aucune raison de continuer à chercher plus d’informations. Et ça, depuis le début du confinement, car, clairement, il s’en « branle ». Si le confinement constitue une pause dans son activité professionnelle de réparateur de chariots élévateurs, ce motard en chômage partiel « attend juste le top départ avant de repartir » travailler. En attendant, il joue une bonne partie de la journée. Et il n’est pas seul.

Depuis le 16 mars, pour moi depuis ma chambre à Trappes, comme pour tout le monde, il est devenu compliqué de mettre le nez dehors. Rapidement, on se rend compte que le temps que l’on ne passe pas dehors, on le passe sur l’ordinateur ou son téléphone portable. C’est ce dernier que je décide de prendre pour contacter des connaissances rencontrées dans mon enfance, par ma bande d’amis où pendant mon parcours scolaire. Alexandre, un ami rencontré lors de mes études supérieures, Yann que j’ai l’habitude de fréquenter au sein de notre groupe d’amis, et Maxime que j’ai rencontré par de la famille. Nous voilà tous les quatre confinés face à un ordinateur, à pratiquer des activités numériques qui, si elles sont loin d’être les seules, occupent une place non négligeable au quotidien.

"Confinement ou pas, dès qu’il rentre du travail, de la fin de soirée au milieu de la nuit, il récite les combinaisons de touches que ses mains connaissent si bien."

« Dans tous les cas, de base, t’es là à jouer sur ton PC dans ta chambre. Donc ça revient au même », résume Yann, jeune homme de 24 ans, manager dans un McDo pas loin de Saint-Quentin en Yvelines. Le 16 mars dernier, le président déclarait : « Nous sommes en guerre ». Nous voilà presque deux mois de guerre plus tard, pendant lesquels les Français sont invités à rester chez eux. Pour Yann, qui a pour habitude de rester à jouer dans sa chambre, dans la maison de ses parents à Saint-Quentin en Yvelines, le confinement avait commencé plus tôt. Il était « en vacances au mois de février et jusqu’au 19 mars. Je ne travaillais pas. Et tu vois, quand le confinement est tombé, j’étais chez moi. » Dans la communauté du jeu vidéo, Yann, possède ce qu’on pourrait appeler un équipement digne de ce nom. C’est-à-dire, une carte graphique récente et puissante accompagnée d’un casque de réalité virtuelle, le tout dans sa chambre. De manière générale, hors période de confinement, s’il n’a « rien à faire, rien de prévu, si je me fais chier, je rentre chez moi, au calme et je vais sur le PC jusqu’à 4 heures du matin. Après, je vais me coucher. Je me réveille. Je vais au taff. » Ainsi, confinement ou pas, dès qu’il rentre du travail, de la fin de soirée au milieu de la nuit, il récite les combinaisons de touches que ses mains connaissent si bien. Une mécanique presque infatigable.

Les jeux vidéo comme loisirs joués sur des consoles de salon, des ordinateurs, ou des smartphones viennent remplir une bonne partie des temps libres. C’est particulièrement vrai pour Maxime, âgé de 24 ans lui aussi, dans la période chômage qu’il traverse actuellement. A Mainvilliers, à coté Chartres, ses journées face à un écran, armé d’un casque encadrant les oreilles et coupant les sons du monde extérieur, il compare son temps de jeu à celui que passent les personnes qui regardent, à la chaîne, un nombre important d’épisodes de séries. Dans les deux cas : « Ça occupe l’esprit. C’est comme… Moi, je compare ça à regarder une série Netflix. T’as des gens, ils peuvent passer 5 heures à regarder tous les épisodes d’une série. Bah moi, je peux passer 5 heures à jouer. ». Alors, même si le confinement est arrivé sans prévenir, cette mesure, exceptionnelle, pour lui, ne « bouscule pas mes habitudes. » Le temps qu’il accorde à son ordinateur dépend surtout « de l’heure à laquelle je me lève. Mais ouais. On va dire toute la journée. ». Chercher une formation ou se rendre à la mission locale ça peut attendre. Dans ce contexte, pour lui être au chômage, c’est aussi plus de temps à consacrer à un loisir.

Rien de mieux, surtout en période de confinement, que de la dopamine pour occuper le cerveau, cette hormone du bonheur qui augmente la sensation de plaisir. Axel joue à plusieurs types de jeux, mais a une préférence pour le jeu de stratégie Starcraft II. Tout se déroule autour de duels entre armées qu’il faut gérer. Cette confrontation lui plaît : « C’est rapide et c’est du 1 vs 1 ». Maxime reconnaitra, plus simplement : « dans un jeu multijoueurs, bah, j’aime gagner. ». Pourtant, selon ce dernier, « c’est surtout les histoires, l’univers et tout, qui fait la force du jeu ». Parfois dans un univers fantastique, à l’image du jeu « The Wicher III », un jeu où le héros est un chasseur de bêtes féroces, dont Netflix a fait dernièrement une série à succès. La compétition, les histoires et les univers du jeu vidéo sont des espaces où ces joueurs se donnent totalement. Et oublient. Quand il n’y a pas le limite de temps en raison d’un confinement le jeu vidéo permet de se faire plaisir sans limite.

"Tu te poses devant ton pc. T’as ton tchat, tes potes. En vrai, t’es jamais vraiment tout seul. Tu discutes. Même si au final personne ne joue"

Par ailleurs, Axel, Maxime et Yann, tous trois célibataires, parlent toujours des jeux vidéo comme d’une activité qui permet de passer le temps et de conserver un lien social. Axel explique passer son temps entre « des jeux, des films, et de la musique » avec une répartition « un tiers chacun, grosso merdo » ». Quand il rentre de son travail qu’il exerce à Lyon, il lui arrive de vivre des soirées, « où j’ai déjà vu 3 films. Je me dis : “je vais peut-être pas me mater un quatrième”, tu vois. » Il décide alors de passer aux jeux vidéo ou sur un type de musique qu’il affectionne et qu’il qualifie d’« éléctro-disco-funk ». Sinon, hors période de confinement, c’est une sortie en ville qui va occuper sa soirée, une sortie dans « les bars ou autre chose ». Pour Axel, qui s’amuse parfois à passer le temps avec sa guitare électrique, Discord est un logiciel de communication qui l’aide à tenir pendant le confinement. Ce logiciel présent sur ordinateur ou au moyen d’une application sur téléphone lui permet de partager des vidéos YouTube, des images, des fichiers, mais aussi de faire un partage de son d’écran : « En vrai, tu te poses devant ton pc. T’as ton tchat, tes potes. En vrai, t’es jamais vraiment tout seul. Tu discutes. Même si au final personne ne joue. » C’est la présence humaine qui compte, le jeu vidéo devenant presque un prétexte. Même chose pour Yan, qui en dehors de sa pratique des jeux vidéo aime se retrouver avec des amis. C’est pour cette raison que, lui aussi, sort de temps à autre « pour aller au bar ou des trucs comme ça. ». S’il n’a plus actuellement la possibilité de passer du temps à l’extérieur, il reste les activités de jeu et de communication sur l’ordinateur, ce pylône qui ne bouge pas. L’électricité fonctionne toujours, l’ordinateur est encore branché, il est encore possible de manger. Le monde s’arrête, mais leur passion peut devenir le fil conducteur pour des journées et des nuits entières.

Maxime aussi « utilise Discord, juste pour parler, ou pour jouer » avec ses potes. Avant que le monde tire la sonnette d’alarme à cause de l’épidémie de Covid-19, Maxime, qui aime prendre son vélo et se balader en ville, prenait aussi le temps, avant le confinement, de sortir « avec un pote. Tu vois, on prend sa « gov*, on sort. On va… Je sais pas. Au Lazer game. Si j’ai autre chose à faire, je peux ne pas jouer » aux jeux vidéo. Plusieurs de ses amis ont déménagé sur Paris ou en Bretagne. Lui et sa bande d’amis se voient « à l’occasion. On se rassemble chez un pote qui habite à Paris. On va dans son appart. On se pose. On rigole. On fait la fête ». Cette distance nouvelle explique qu’il sort moins que par le passé. Avant, « je sortais souvent et tout, quand j’avais tous les potes sur la région. » Mais en ce moment. Ouais, je joue plus parce-que y’a moins de monde sur place. » Une situation qui s’est accentuée avec le confinement. Il y a moins de monde sur place, à Mainvilliers, mais plus de monde sur l’ordinateur, dans une période où le temps n’est plus compté. Ils ont ainsi la possibilité de jouer au même jeu et de le partager sur l’écran des autres. Les discussions où tous les participants ont un micro créent un cadre convivial qui leur permet de se détendre et de rire. Un espace où on peut même rigoler du confinement : « On aime bien rigoler dessus. Mais après franchement. À part pour compter le nombre de morts et pour savoir à combien s’élève les amendes, on n’en parle pas plus que ça quoi. »

Cet écran relié à Internet est aussi une fenêtre ouverte sur le monde, au-delà de l’écran. En ce moment, tous les jours, dans toutes les discussions, le mot « Covid-19 » se présentent à leurs oreilles. Yann, que j’ai au téléphone depuis quelques minutes me raconte, lassé, entre deux bouffées de cigarette, qu’il a vite arrêté de faire des recherches car, « tout ce qu’on entend même à la télé, c’est que du répété. ». Il reprend son souffle et poursuit avec plus de conviction : « de toute façon que tu regardes à la radio ou à la télé, c’est la même. Que tu regardes sur Internet, tout partout, tu entends : « Ouais coronavirus, ouais tant de décès. Ouais ça. Ouais la Chine, ils mentent. Ouais les Russes, ils mentent. Ouais y’a pas assez de masques. Voilà, on est débordés. » C’est bon a compris, on est débordés ! Restez chez vous frères !». Maxime avoue de son côté qu’il aime bien faire attention aux vies bousculées par l’actualité. Il m’informe qu’il suit avec curiosité et humour l’actualité des États-Unis, tout particulièrement celle qui se rapporte à son président. En fin de compte, il en conclut que dans ce pays, « c’est la merde », la faute à des mauvaises conditions de vie, et un « confinement qui ne prend pas en compte les dettes d’eau et d’électricité. Du coup là-bas t’en as qui se font couper l’eau en plein début de confinement. L’eau et l’électricité ! »

D’habitude, les faits divers des médias attirent leur attention, mais ils restent lointains. Depuis plusieurs semaines, pourtant, les faits divers se sont invités au sein de leurs familles. Yann a connu le Covid-19 de très près après l’hospitalisation de son père, un peu avant le début du confinement : « Le matin, mon père avait de la fièvre ». Ça a créé une certaine panique, car son père est atteint d’une maladie de l’appareil respiratoire, qui dépose des glaires dans les poumons. Une maladie qui fait de lui une personne à risque… Il poursuit : « Moi aussi, je l’ai eu. Le lendemain ma mère, elle avait mal à la tête, elle toussait et tout. Et moi, j’avais des courbatures et j’étais fatigué. Mais là ça fait presque deux semaines déjà. Tu vois. ». Il relativise en disant que la maladie n’est pas si grave et que ses courbatures ne l’ont même pas empêché de jouer. Il n’a pas consulté.

"Ils peuvent raconter des trucs, mais ça fait pas avancer le schmilblick"

Pareil pour Maxime, qui garde le contact sur les réseaux sociaux et par téléphone avec un ami livreur de colis, avec qui il avait l’habitude de sortir pour aller au Lazer Game avant le confinement, qui lui aussi « a attrapé » le Covid. Son ami, « comme il s’est fait infecter, bah sa copine elle est partie habiter chez sa mère. Et lui est solo dans son appart. ». Entre les amis et la famille infectés, ils sont tout de suite moins curieux des faits divers à la télé : « après… bah, j’attends. Parce que bon, ils peuvent raconter des trucs, mais ça fait pas avancer le schmilblick. De toute façon, si y’a une vraie annonce et qu’il y a une grosse annonce, en général tout le monde est au courant. ». Comme tous leurs contacts parlent constamment de cette maladie, plus besoin de chercher les news.

Aujourd’hui, après plusieurs semaines de confinement le temps commence à sembler long pour ces jeunes hommes, et le déconfinement est bienvenu. Pour Maxime, qui souhaite sortir de sa situation de chômage, le confinement ce sont des services publics qui ne sont plus accessibles. Il éprouve le besoin de sortir de chez lui pour avancer dans ses démarches : « dès le confinement fini, j’aimerais bien passer mon code et commencer mes heurs de conduit pour mon permis ». Il se sent complètement à l’arrêt. Axel de son côté attend la reprise de son travail réparateur de chariots élévateurs, et ne souhaite pas rester au chômage partiel. Pour lui aussi, le temps commence à être long : « Ouais. Mais ça t’empêche pas de tourner en rond en vrai. Parce que tu vas jouer 3 – 4 heures facile, mais 5, 6, 7, à la fin, tu fais « vas‑y » ». Yann enfin, qui prend le parti de rigoler joyeusement et se moquer de la situation préfère en profiter : « Ah mais là mais frère, je suis à plein temps. Dès que je me réveille, je vais sur le PC jusqu’à que, je me rendorme. C’est du 80 heures par semaines. ». Sans cacher que parfois que « je me fais chier au bout d’un moment, à faire toujours la même chose. ». Quelques jours après cet entretien, avec la réouverture des Macdo en France, il se retrouvera sur le front, avec toutes ces professions en première ligne.

 

Christopher Becherot


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