Bilal, réfugié Afghan à Trappes : « Merci la France »


Bilal, 26 ans, réfugié Afghan, a été accueilli dans une résidence sociale à Trappes, au terme d’un long voyage. Récit.

 

« Durant mon voyage, j’ai vu beaucoup de gens mourir, car il fallait marcher de jour comme de nuit et si tu ne marchais pas, on te tapait et tu allais finir tué » se remémore Bilal alors qu’il a dû quitter ses parents, son frère de 13 ans, ainsi que sa terre natale.

Bilal a 22 ans quand il se retrouve prisonnier aux mains des talibans qui veulent le voir combattre dans leurs rangs : « Ils m’ont mis en prison pendant deux mois. Ils voulaient que je vienne, ils voulaient que je combatte avec eux. Je savais qu’il ne fallait pas que j’accepte. Du coup, ils m’ont énormément frappé, partout », explique-t-il en relevant la manche de sa chemise laissant voir une entaille cicatrisée sur son poignet. Immédiatement, Bilal tempère en rigolant, tentant ainsi de minimiser ce qu’il a vécu : « depuis trois ans que je suis arrivé en France, je ne me suis pas fait taper ».

Après 2 mois de pression morale et de sévices corporels, il change de stratégie et fait mine d’accepter les demandes de ses geôliers, à condition qu’ils le conduisent auprès de ses parents, une dernière fois. « Ils m’ont mis quelque chose sur la tête pour que je ne puisse rien voir et m’ont conduit près de chez moi » détaille-t-il. C’est avec précision et émotion qu’il se remémore ce retour à la ferme familiale, quand ses parents qui le croyaient mort le serrent dans leurs bras : « Ils étaient choqués, ils pensaient qu’ils étaient en train de rêver. Jamais je ne pourrai oublier ce moment » détaille Bilal dans un français encore un peu hésitant.

"Une fois à Kaboul, il doit rester 3 jours sans sortir de sa chambre de peur d’être reconnu par des talibans."

À partir de là, tout s’accélère, Bilal explique à ses parents que les talibans vont revenir le chercher. Le père de famille s’isole pour appeler un oncle et le lendemain à 5 heures du matin une voiture vient le chercher. Devant l’urgence du départ, il n’a pris avec lui que ses papiers d’identité, son oncle lui apportant 2 pantalons et 2 t‑shirts. Par peur d’être reconnu, il fait le trajet jusqu’à la capitale, Kaboul, dans le coffre. Une fois à Kaboul, il doit rester 3 jours sans sortir de sa chambre de peur d’être reconnu par des talibans.

S’ensuit un long périple qui va s’étendre sur 3 ans et demi et qui se terminera à Trappes : Pakistan, Iran, Turquie, Bulgarie, Serbie, Slovaquie, Autriche, Italie et enfin la France. Quand le voyage ne s’effectue pas à pied, ce dernier se fait dans des voitures surchargées : « En Iran, on était 16 personnes dans une voiture, avec 4 personnes dans le coffre » décrit-il. N’ayant pas pu organiser son départ et n’ayant que très peu d’argent, Bilal a dû effectuer, sur son parcours, divers travaux l’obligeant parfois à séjourner plusieurs mois dans les pays qu’il traversait.

La difficulté physique de ce voyage semble mineure face à la difficulté psychologique. Bilal confie à plusieurs reprises “avoir eu peur de mourir”. Il semble particulièrement affecté par un passage en Bulgarie qui lui a valu 2 mois et demi de prison pour avoir franchi la frontière illégalement. Les autorités lui ayant aussi pris son téléphone, et faute de n’avoir pas les moyens de s’en racheter un, il n’a pu avoir de contact avec sa famille durant de nombreux mois. Après la violence de la prison en Bulgarie, il lui a fallu affronter le racisme en Autriche : « Des passants autrichiens me disaient en allemand : “sors de mon pays”. C’était une vie de chien ça hein ? Et je n’en voulais pas » souligne-t-il.

"La première chose que j’ai vue, c’est qu’il y avait beaucoup de monde qui venaient me dire bonjour ou qui me donnaient à manger. Je me suis dit : « Comment, c’est possible ? Les gens en France, ils donnent à manger, ils donnent tout »"

Après plus de trois longues années de voyage, Bilal arrive enfin sur le sol français en se projetant déjà sur sa destination finale : l’Angleterre. La France ne devait être qu’un arrêt de passage parmi tant d’autres. Des amis afghans lui avaient dit que ce serait plus simple de trouver un travail en Angleterre, et que la vie y serait meilleure. En attendant, lorsqu’il arrive, porte de la Chapelle à Paris, Bilal est seul et n’a comme compagnon de route qu’un vulgaire petit sac regroupant quelques vêtements. Il n’a d’autres choix que d’errer dans les rues. Une errance qui durera un long mois. C’est avec un sourire paradoxalement rempli de nostalgie qu’il dépeint son premier jour à Paris, qui est aussi son premier jour à la rue : « La première chose que j’ai vue, c’est qu’il y avait beaucoup de monde qui venaient me dire bonjour ou qui me donnaient à manger. Je me suis dit : « Comment, c’est possible ? Les gens en France, ils donnent à manger, ils donnent tout » », explique-t-il en rigolant. À partir de là, « j’ai voulu rester en France », résume-t-il.

Passé les premiers jours des premiers bras tendus, le jeune Afghan a très vite été confronté à diverses difficultés, la plus importante étant celle de la barrière de la langue française. Il explique : « c’était dur, car je ne connaissais même pas “bonjour” ». Or, difficile de comprendre les diverses démarches administratives qu’il a dû effectuer seul, en vue d’obtenir le droit d’asile, sans comprendre un mot de français. Il se met alors à apprendre ce nouveau langage en suivant les cours dispensés par le biais de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA).

Bilal souligne à de multiples reprises avoir eu de la chance, car la procédure s’est déroulée très rapidement, en 2 semaines. Si bien que certains de ses amis en étaient presque jaloux. Une fois la demande d’asile déposée, Bilal obtient par le biais du Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile en France (CADA) une place dans un hébergement d’urgence à Maurepas. Ce n’est qu’après avoir obtenu sa carte de séjour, qu’il est finalement réorienté vers la résidence sociale de Trappes, résidence où le jeune homme y loge encore. Il y a appris à se faire à manger. « Ici, j’ai dû apprendre à cuisiner. Ce qu’ici les femmes préparent, je peux le faire maintenant », raconte-t-il avec fierté. Car, explique Bilal, en Afghanistan ce sont les femmes qui sont en charge de l’espace de la cuisine.

"J’avais un travail, j’étais content. Pour moi, la vie avait commencé en France."

Après le droit au logement que lui offre sa carte de séjour, s’offre aussi à lui le droit de travailler légalement, dans le secteur du BTP : “j’avais un travail, j’étais content. Pour moi, la vie avait commencé en France”. Il a dû s’organiser entre son travail de nuit dans le BTP et ses heures obligatoires de cours de français dispensées par l’OFPRA.

En arrivant en France, Bilal a en effet enchaîné plusieurs emplois de nuit ainsi que de jour dans le BTP. Il nous confie qu’il aurait aimé être ingénieur, mais a dû, à regret, quitter l’école coranique à 16 ans pour aider ses parents dans la ferme : « Mes parents avaient un élevage de moutons et des terres, c’était leur travail ». Et puis : « vous savez là-bas, on ne peut pas faire d’études, à cause de la guerre », rappelle-t-il. Bilal travaille à présent régulièrement comme maçon pour des missions que lui confie une agence d’intérim.

Même si le jeune homme ne cesse de tempérer chacune de ses difficultés avec des “ j’ai eu beaucoup de chance, vous savez”, son évidente solitude quotidienne n’empêche pas son esprit d’être toujours un peu là-bas, avec sa famille. Car la crainte de perdre ses proches restés en Afghanistan perdure. Depuis qu’il a réussi à retrouver leur contact, le jeune homme nous confie les avoir très régulièrement au téléphone afin de s’assurer qu’ils sont en vie. “S’ils ne répondent pas une fois, je vais commencer à prier”.

Parfois, la solitude se brise et Bilal voit ses amis, amis qu’il s’est fait au travail. Mais pour lutter contre la souffrance de la solitude imposée par le confinement, il dit s’être reconstitué une famille de cœur au sein de son foyer.

Bilal semble apaisé et reconnaissant d’avoir maintenant “une belle vie”, d’avoir trouvé un pays où le bruit des balles et des explosions ne se font plus entendre, cette nouvelle vie où il peut sereinement arpenter les rues sans craindre d’y perdre la vie, car contrairement à la France, rappelle-t-il, en Afghanistan « quand on sort dehors, on ne sait jamais si l’on va rentrer ». Ayant connu la guerre, Bilal apprécie ce que nous Français, ne voyons pas : « Vous savez, il faut être content d’avoir cette vie-là, que vous avez. Maintenant ma vie, elle est trop belle, merci la France »

 

Juliette Jourdan


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