"Aujourd’hui une chose est sûre, nous avons beaucoup plus peur de la police qui est censée nous protéger, que le reste de la population."


Donovan*, 22 ans, originaire du quartier Thorez à Trappes, revient sur les nuits d’émeutes qu’ont connu de nombreux quartiers populaires déclenchées par le drame du jeune Nahel.

 

Comment tu expliques le déclenchement des révoltes et des émeutes dans les quartiers ?

Aujourd’hui plus rien ne me choque, j’ai toujours connu les violences policières, depuis tout jeune.  Mais depuis plusieurs années, c’est devenu de plus en plus violent, que ce soit du côté des policiers ou de celui des jeunes de quartiers.

Au début, j’entendais toujours que c’étaient les jeunes de quartiers qui abusaient, que c’étaient eux qui étaient violents envers les policiers, et qu’il méritait le comportement parfois violent de la police pour les canaliser. Alors chaque quartier s’est mis à filmer les bavures policières pour prouver à tout le monde que les violences ne venaient pas toujours des jeunes, mais que c’étaient souvent les policiers qui violentaient pour aucune raison pendant les contrôles.

Plusieurs jeunes de nos cités sont morts face à cette violence policière pendant des contrôles abusifs, et c’est pour ça que nous nous sommes révoltés. Quand les émeutes dans les quartiers ont commencé on n’était pas du tout écoutés et rares étaient les personnes qui nous croyaient. Mais quand on fait face à des histoires comme le petit Nahel et que cette histoire devient très médiatisée, on arrive à avoir la parole.

On a tous l’impression que notre seul moyen de faire arrêter tout ça et de plus se sentir en insécurité face à un contrôle policier, c’est d’organiser des émeutes pour exposer notre mécontentement, notre haine face à l’injustice qu’on subit depuis plusieurs années, nous, les jeunes de quartiers. Finalement, ils nous mettent tous dans le même sac, alors que ça ne devrait pas être le cas.

On a déjà fait face à des émeutes, presque aussi violente en 2005 à la mort de jeunes de quartiers victime d’une bavure policière, mais aujourd’hui en 2023, cela se reproduit encore. C’est comme ça qu’on voit que nos paroles ne sont pas écoutées et qu’il faut qu’on aille plus loin que juste parler pour se faire entendre.

« Beaucoup d’entre nous ne comprennent pas cette différence entre les jeunes de quartier défavorisé et les jeunes dans les quartiers plus aisés, qui se font très rarement contrôlés en sortant de chez eux. »

Est-ce que tu connais des victimes de violences policières ou d'un contrôle qui a mal tourné ?

Je suis moi-même issu d’un quartier de Trappes où les contrôles de police sont régulièrement rythmés par de la violence verbale et par des conflits entre les jeunes de quartier et les policiers. Aujourd’hui on se fait contrôler pour tout et pour rien. Il y a clairement des contrôles abusifs. Même quand on est assis en bas de chez nous, on ne fait rien de mal, juste à discuter ou à jouer aux cartes on est obligés de subir régulièrement ces contrôles de police. Parfois, ils viennent tous les soirs pour nous contrôler et mettre des amendes gratuitement.

C’est pour cela qu’aujourd’hui on craint de se faire contrôler. Quand on voit la police on court, alors qu’on n’a rien à se reprocher. On est toujours un peu sur la défensive parce qu’on sait que même si on n’a rien à se reprocher, ils seront toujours là à trouver quelque chose pour nous mettre une amende ou pour nous ramener au poste de police pour un contrôle plus poussé. Ils sont capables de nous garder en garde à vue, parce que personne n’est là pour vérifier notre identité. Donc maintenant même un contrôle, on n’en veut plus.

Beaucoup d’entre nous ne comprennent pas cette différence entre les jeunes de quartier défavorisé et les jeunes dans les quartiers plus aisés, qui se font très rarement contrôlés en sortant de chez eux ou en étant posé avec des potes en bas de chez eux.

Mais il arrive aussi que les contrôles se passent mal des deux côtés. Que le policier parle mal et que ça dérape de notre côté aussi.  Il m’est arrivé quelques fois d’assister à des contrôles où les policiers ont dû devenir violents pour embarquer certaines personnes qui ne voulaient pas.

Mais je n’ai jamais assisté à un contrôle qui a réellement mal tourné jusqu’à pouvoir causer la mort de quelqu’un. Je ne sais pas vraiment comment je pourrais réagir face à cette situation. Quand je vois ce type d’histoire sur les réseaux, je suis tellement en colère que je ne pourrais pas prévoir ma réaction face à ça.  Aujourd’hui une chose est sûre, nous avons beaucoup plus peur de la police qui est censée nous protéger, nous aider, en cas de problème, que le reste de la population.

 

« Certains quartiers ne se rendent pas compte qu’en réagissant comme ça, notre parole ne sera pas entendue et au contraire, notre image sera de plus en plus dégradée, et les violences policières ne feront que se renforcer. »


Est-ce que tu sens que les habitants de ton quartier sont solidaires des jeunes ?

Il n’y a que quand on habite dans ce type de quartier qu’on peut se rendre compte réellement de la violence qu’on subit. J’entends souvent parler en mal de nos quartiers et de notre comportement face aux policiers sous prétexte qu’on habite dans des endroits mal fréquentés. Encore une fois, ils mettent tout le monde dans le même panier. Souvent, on a beaucoup plus tendance à donner raison aux forces de l’ordre qu’à nous.

C’est pour ça qu’il est très important que dans notre quartier, nous restions tous solidaires à nous entraider face à toute cette violence et injustice. Je sais que quand les émeutes ont commencé pour l’histoire du petit Nahel, tous les parents de nos quartiers étaient totalement d’accord avec nous sur le fait qu’il fallait absolument se révolter sur ces violences pour arrêter le nombre de victimes de cette violence policière, sans raison valable.

Mais seulement voilà, les parents sont d’accord pour que nous sortions dans les rues crier l’injustice à laquelle nous faisons face, pour que cela ne se reproduise plus. Mais forcément ils ne sont absolument pas d’accord avec toute cette casse dans les centres commerciaux, les écoles, les épiceries, les commerçants etc.. Je pense que certains quartiers ne se rendent pas compte qu’en réagissant comme ça, notre parole ne sera pas entendue et au contraire, notre image sera de plus en plus dégradée, et les violences policières ne feront que se renforcer.

Est-ce que tu te sens solidaire de ces jeunes ?

Bien sûr que je me sens solidaire avec ces jeunes et bien sûr que j’entends leurs paroles qui sont légitimes. Forcément je n’aimerais pas que cela arrive à mes frères ou à des amis proches. C’est juste abominable ce qui vient de se passer pour le petit Nahel et pour sa famille.

Là où je ne suis absolument pas solidaire, c’est sur toute la casse, le vol et tout ce qu’on a pu brûler dans nos quartiers. Ce n’est absolument pas une solution et au contraire je pense qu’on sera pris de moins en moins au sérieux avec ce genre de réaction. Il faut qu’on aille plus loin pour crier notre haine face à ces bavures policières, mais sans dégrader nos quartiers dans lesquels nous avons déjà peu de choses.

Aujourd’hui, une chose est sûre, quand je vois toute cette haine, je ferai toujours en sorte de ne plus habiter dans les quartiers en grandissant. C’est beaucoup trop dangereux. Nos enfants seront toujours plus au moins victimes de ce type de bavure. Parce que je sais qu’on aura beau manifester, les choses ne changeront pas, et malheureusement nous ferons toujours face à ce type d’histoire tragique. C’est un combat sans fin entre les jeunes de quartiers et la police. Les policiers qui savent qu’ils peuvent exercer un moyen de pression et abusent parfois de leur pouvoir, contre des jeunes de quartiers qui ne l’accepteront jamais. Et moi je suis bien d’accord avec eux. Les forces de l’ordre sont là pour nous protéger et nous aider, pas pour nous tuer.

 

« Notre parole ne vaut rien. »

 

Si tu avais une baguette magique, qu’est-ce que tu ferais changer par rapport aux contrôles de police ?

Pour moi aujourd’hui, il faudrait effectuer beaucoup plus de contrôles pour empêcher de provoquer les jeunes par la parole pour leur mettre des amendes derrière. Des process de contrôle doivent être mis en place. Il y a un très gros rappel à faire aux policiers sur les contrôles qu’ils doivent effectuer. Aucune violence, verbale ou physique ne doit être tolérée. Aujourd’hui certains policiers se croient tout permis. J’ai même l’impression que pour certains ils ne se rendent pas compte qu’ils sont dans la vraie vie et pas dans un jeu vidéo.

Et le plus important je pense, c’est qu’en cas de plainte contre un agent policier, celle-ci doit être traité de manière neutre par la justice. On sait très bien aujourd’hui qu’à chaque fois qu’un jeune de quartier porte plainte contre un policier, surtout s’il a un casier judiciaire, ça se retournera toujours contre lui. C’est pour ça que pour certains préfèrent faire violence eux-mêmes, même si ce n’est pas la bonne solution. La police sera toujours protégée et ils le savent. Notre parole ne vaut rien.

 

A part le rapport à la police, qu'est ce qui explique ce besoin de révolte de certains jeunes selon toi ?

Je ne vois pas vraiment une autre raison pour laquelle les jeunes d’aujourd’hui ont ce besoin de révolte. C’est vrai que le coût de la vie n’arrête pas d’augmenter ces derniers temps et que rien ne va en s’arrangeant, que ce soient les prix du carburant, de l’électricité ou des commerces. Mais la raison principale aujourd’hui de ces émeutes est réellement le rapport entre la police et les jeunes de quartiers depuis plusieurs années. Le fait que ce type de situation n’arrête pas de se reproduire, cela n’arrange en rien la haine grandissante de ces jeunes qui subissent cette injustice.

Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, une solution serait d’apporter beaucoup plus d’aides à certains jeunes des quartiers défavorisés. Et beaucoup plus tôt, pour les aider à trouver un métier ou des études qui leur plaisent. Il faut les orienter et leur montrer qu’ils peuvent s’en sortir, même s’ils ont toujours grandi dans la galère. C’est comme ça que ces jeunes vont beaucoup moins traîner dehors. Pour la plupart ils sont tous démotivés et on a du mal à voir l’avenir.

 

« Ils ont tous l’impression qu’ils n’ont rien à perdre »

 

Tu ne penses pas que c’est difficile aujourd’hui d’orienter ce type de profil ?

Je sais que c’est parfois compliqué de gérer ce type de profil qui ne savent pas quoi faire plus tard. Mais les laisser dans la nature, ça n’arrange rien, bien au contraire. C’est comme ça qu’ils vont faire des conneries et qu’ils finissent en prison, et qu’ils font la guerre avec les policiers. Dans les quartiers privilégiés, les jeunes ont beaucoup plus d’aides parce qu’ils ont les moyens, ou ils ont des parents appartenant à des catégories socio-professionnelles élevées qui leur permettent d’avoir déjà un pied plus facilement dans les études ou le monde du travail. Ou alors les parents n’ont aucun problème pour payer des séances de soutien ou d’orientation pour leurs enfants. On ne connaît pas ça nous, on n’a jamais eu ça.

Du coup, beaucoup finissent par décrocher niveau scolaire. Et forcément le décrochage emmène les jeunes à traîner tard le soir, parce que le lendemain ils savent qu’ils peuvent dormir. Donc ils font des bêtises, alimentent les guerres avec la police, subissent des contrôles policiers… Mais même ceux qui travaillent dans les boulots de livreur et qui finissent tôt entre 13h et 15h, ils se mêlent à ceux qui ne travaillent pas. En fait, ils ont tous l’impression qu’ils n’ont rien à perdre et ils se considèrent tous dans la même « galère », c’est-à-dire sans travail ou avec un travail qu’ils n’aiment pas, et sans solution pour eux à l’avenir. Au quartier ils n’ont rien à faire en vrai, donc ils ne cherchent qu’à faire des trucs interdits pour s’occuper. 

Qu'est-ce que tu changerais dans les quartiers si tu devais empêcher d'autres révoltes dans le futur ?

Ce que je changerais en premier, c’est qu’on ait le droit de refuser un contrôle policier, si celui-ci n’a aucune raison valable. Cela limiterait la tentions et le sentiment des jeunes de se sentir surveillés. Ensuite, il arrive régulièrement qu’on se fasse contrôler et que la situation dérape parce que l’agent nous manque de respect verbalement. C’est souvent comme ça que commencent les bavures policières. Les relations entre les jeunes de quartier et la police doivent s’améliorer pour limiter au maximum les débordements, mais pour cela les deux côtés doivent fournir des efforts. Aujourd’hui on est loin de voir des évolutions. Au contraire les contrôles se passent de plus en plus mal.

 

« Pour moi, on devrait seulement faire des émeutes pour exposer l’injustice à laquelle nous faisons face, pour faire changer les lois »



En quoi ces émeutes vont faire bouger les choses selon toi ?
Pour moi, aujourd’hui, les émeutes ne vont pas forcément faire changer les choses directement, parce qu’il y a eu trop de débordements, de casse, de vol, qui font que notre message n’est pas bien passé. Pour moi, on devrait seulement faire des émeutes pour exposer l’injustice à laquelle nous faisons face, pour faire changer les lois. Aujourd’hui dans notre pays, c’est toujours compliqué de faire changer les choses de la bonne manière, sans violence. C’est sûr qu’aujourd’hui je suis certain que certains policiers craignent les représailles et font plus attention à leur manière de se comporter lors des contrôles. Mais la plupart des policiers n’ont appris aucune leçon même avec l’histoire récente du petit Nahel. Je dis ça, parce qu’en 2005 une bavure policière a entraîné la mort d’un jeune de quartier et aujourd’hui, 20 ans après, on fait face à la même situation. Malheureusement, je pense que Nahel ne sera pas la dernière victime de ces bavures et je crains que les émeutes deviennent de plus en plus violentes et régulières. Un jour ou l’autre, il faudra s’attarder sur ce sujet et trouver une réelle solution.

Est-ce que tu sens que les habitants de ton quartier sont solidaires des jeunes ?
Dans mon quartier sur n’importe quel sujet, on a toujours été très solidaires entre nous. On sait d’où l’on vient et quelles galères on subit au quotidien. Encore une fois, dans l’histoire du petit Nahel, on a bien vu que tous les quartiers de France ont soutenu le quartier de Nanterre en organisant des émeutes pendant plusieurs jours pour venger le petit Nahel. On se sent tous concernés par cette histoire. On a tous peur que ça arrive à un de nos proches ou à quelqu’un de notre quartier. En sortant le matin pour aller au travail, j’entendais plusieurs voisins discuter de cette histoire entre eux. Forcément ils ont tous peur que cela arrive à leurs enfants. En tant que parents aujourd’hui tu ne sais pas ce qui peut se passer. Si ton fils se fait contrôler et que le contrôle se passe mal, qu’on t’appelle un matin pour t’annoncer que ton enfant a été tué par un policier, en tant que mère, père, frère ou sœur, tu ne sais pas comment tu serais capable de réagir. Bien sûr qu’on est tous solidaires entre nous et on le restera toujours. C’est ça que j’aime bien dans mon quartier. La solidarité. Et ça, je sais que c’est quelque chose qu’on ne nous enlèvera pas.

 

Propos recueillis par Natacha Nedjam

 

* Le prénom a été modifié


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