Aboubacar, réfugié guinéen, trouve petit à petit la stabilité en France, après 4 ans de dures péripéties. Récit.
« Je suis parti parce que j’avais des problèmes avec l’État guinéen » explique Aboubacar. Un jour où des affrontements ont lieu entre policiers et habitants de son quartier, des jeunes se font tuer. Aboubacar décide de se joindre aux manifestations organisées contre le gouvernement d’Alfa Condé, président élu en 2010, et il adhère dans la foulée au parti politique du parti de l’opposition à Alfa Condé, l’IFDG.
Il se fait alors emprisonner, trois fois « « La première fois quand ils m’ont attrapé, j’ai fait deux mois et vingt jours là-bas. La deuxième fois, j’ai fait un mois, et la troisième fois, j’ai fait quinze jours ». Il y découvre des conditions de détention éprouvantes, entassés à dix ou quinze dans une pièce de 4m². « Il y avait des cafards et souris. On mangeait que du riz blanc, sans rien, une seule fois par jour. » Il y subit aussi la torture et les tabassages politiques « pour que tu dénonces des leaders des groupes de manifestations. »
"Il est venu me chercher la nuit. Il m’a frappé et m’a amené dans une pièce sombre. Pour moi, c’était la fin, je pensais que j’allais mourir."
Lors de son troisième emprisonnement, le père d’Aboubacar paye quelqu’un pour le sortir de prison afin d’échapper aux tortures : « Il est venu me chercher la nuit. Il m’a frappé et m’a amené dans une pièce sombre. Pour moi, c’était la fin, je pensais que j’allais mourir. » Le faux gardien lui donne alors une tenue de gardien, lui dit de faire comme lui jusqu’à la sortie de la prison, et le fait rentrer dans un camion, direction la frontière du Mali, poussé à quitter son pays d’origine devenu trop dangereux pour lui.
Commence pour lui un long exil dans le désert, du Mali jusqu’au Maroc. Aboubacar se retrouve dans les mains d’un passeur que le gardien de prison a payé pour le conduire au Maroc. Il se retrouve alors avec d’autres migrants en direction pour l’Europe : « C’était l’enfer, au désert nous étions comme des marchandises, vendus, tabassés. Les trafiquants de migrants nous faisaient travailler de force dans les champs et fermes », se souvient-il. Il n’arrive au Maroc que deux mois et dix 10 jours plus tard.
Pourtant, Aboubacar n’aurait jamais pensé, plus jeune, devoir fuir son pays. Issu d’une famille de 13 enfants, son père ayant deux femmes, Aboubacar, avant dernier enfant de sa mère qui a eu 4 autres garçons et 4 filles, a passé une grande partie de son enfance dans un village du centre de la Guinée, à 250km de la capitale Conakry. Après avoir arrêté tôt ses études, parce qu’il faisait « trop de pagaille », il est envoyé au Sénégal à l’âge de 15 ans auprès d’un de ses oncles couturiers. Puis il bourlingue en travaillant comme couturier dans l’ouest de l’Afrique, entre le Guinée, le Sénégal et enfin la Côte d’Ivoire où il est surpris par la guerre civile qui y éclate en 2011, et le pousse à rentrer en Guinée, où il découvre une situation politique chaotique dans laquelle il s’est impliqué.
Une fois au Maroc, Aboubacar décide, accompagné d’autres migrants, de prendre le risque de traverser la Méditerranée en bateau Zodiac. Tout d’abord cinq fois, sans succès, il est rapatrié à la frontière marocaine par la police espagnole en arrivant sur les côtes de Ceuta et Melilla. La sixième fois, il prend le bateau à 4 heures du matin sur la côte marocaine. Un voyage qui devrait durer moins d’une heure selon les dires du passeur, se termine après douze heures de péril en mer, tous étant sauvés grâce à un bateau de l’Etat espagnol.
« Franchement, je n’aime pas penser à ces moments. C’est parce que c’est toi, que j’accepte de raconter encore cette histoire, m’explique-t-il en se remémorant ces moments douloureux. Les Espagnols nous ont sauvés en mer, je ne savais même pas où on était. » Il raconte que son Zodiac a failli exploser « parce que le moteur n’était pas bon. Il s’est arrêté au bout d’un moment et a pris de l’eau. » Obligé de se jeter à la mer, et alors qu’il est bon nageur, il se sent perdre toutes ces forces tellement « les vagues étaient lourdes. Un moment, je me suis laissé emporter par l’eau. Heureusement qu’elle n’était pas froide… »
"J’avais personne pour m’héberger. J’appelais le 115, mais il y a des jours où il n’y a pas de place."
Lui et les autres migrants passent trois jours à Grenade, dans les locaux de la police locale, puis ils sont mis dans un avion, direction Barcelone dans un centre de rétention. « On a fait 25 jours là-bas, ils nous enfermaient toute la journée. » Pendant cette période, certains sont rapatriés dans leur pays d’origine, sans qu’ Aboubacar ne comprenne bien pourquoi. D’autres, dont lui, sont envoyés à Valence. « Nous sommes restés dans un hôtel là-bas pendant 10 jours. Après, les interprètes nous ont dit que si on voulait rester, on pouvait rester à Valence. Sinon on pouvait partir. » Aboubacar décida alors de rejoindre la France où il avait quelques amis guinéens ayant eux-mêmes émigrés. Des passeurs à la frontière franco-espagnole lui fournissent une fausse carte d’identité. Aboubacar et d’autres migrants arrivent par bus à la gare routière de Bercy le 15 août 2017.
À Paris, un de ses amis de Guinée, l’accueille quelques jours chez lui, à Issy-les-Moulineaux. Puis pour lui comme pour tant d’autres dans sa situation, c’est la rue, sans argent ni personne pour l’héberger. « J’avais personne pour m’héberger. J’appelais le 115, mais il y a des jours où il n’y a pas de place. » Il dort tantôt dans la rue avec des amis Guinéens, tantôt dans les centres d’hébergement, passant une partie de ses journées dans les centres d’accueil de jours pour les personnes sans domicile.
Les travailleurs sociaux qu’il côtoie lui donnent des contacts d’associations d’aide aux migrants. Certains d’entre eux sont transférés en province. En novembre 2017, au début de la trêve hivernale, il est accueilli dans un centre d’hébergement d’urgence d’Adoma, à Gennevilliers, où il entame un parcours d’hébergement temporaire de centre en centre. C’est là que je l’ai connu, alors que je travaillais en tant qu’assistante sociale. « Moi et les autres demandeurs d’asile, c’est le 115 qui nous a envoyés là-bas. Nous sommes restés 6 mois, se souvient-il. Après, ils nous ont envoyés dans un autre centre à Cergy-Pontoise pour 10 jours. »
En raison d’une infection sévère d’une oreille dont il ne sait trop la cause, Aboubacar est hospitalisé à Paris, et il récupère de son opération dans un centre d’hébergement de la croix rouge de Triel-sur-Seine, dans les Yvelines. En avril 2019, grâce à l’aide de l’assistante sociale de Triel-sur-Seine, il trouve à Colmar une place disponible dans un centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile géré par la Croix-Rouge. Il y poursuit sa demande d’asile, laquelle « a été acceptée le 18 décembre 2019 à Colmar. J’étais vraiment soulagé », se rappelle Aboubacar, reconnaissant envers toutes les associations et structures sociales qui ont joué un rôle très important dans son parcours de vie en France.
"Les petites missions ça ne gagne pas beaucoup. J’aimerais bien avoir des missions qui durent six mois au moins"
Aboubacar n’est depuis lors plus demandeur d’asile, mais réfugié, et susceptible de travailler légalement en France. Il s’inscrit au pôle emploi et à demander à faire une formation dans le secteur du bâtiment ou des travaux publics (BTP), dans lequel travaillent légalement ou illégalement de nombreux migrants venus d’Afrique. En attendant, il cherche des petits boulots d’agent d’entretien ou dans tous les secteurs employant régulièrement des personnes ayant son profil. Mais face aux offres peu nombreuses dans un contexte de confinement lié à la crise sanitaire, il décide de quitter Colmar au début de l’été 2020 pour revenir sur Paris, afin d’augmenter ses chances de trouver un emploi.
Actuellement logé dans un Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale dans le 13ème arrondissement de Paris, Aboubacar fait des petites missions d’intérim payées au Smic dans le BTP, la manutention ou encore la logistique, ne nécessitant pas de formation spécifique. « Parfois, je travaille une semaine, parfois un mois. ». Aboubacar en plus de l’argent dont il a besoin pour vivre en France, rêve de pouvoir en envoyer aussi un peu à sa famille, en Guinée. « Les petites missions ça ne gagne pas beaucoup. J’aimerais bien avoir des missions qui durent six mois au moins », insiste-t-il.
Malgré cette situation toujours un peu instable, Aboubacar a espoir pour l’avenir : « Ce que j’aime en France, c’est la liberté, la santé. Ce n’est pas comme dans mon pays » raconte-t-il en pensant au droit de manifester sans craindre de se faire emprisonner ou encore à l’Aide Médicale d’Etat (AME) qui l’a bien aidé au moment de son inflammation de l’oreille. Il ne compte pas s’arrêter là, et souhaite pouvoir définitivement trouver une stabilité matérielle en France. « Avec mon assistante sociale, j’ai fait mon dossier Droit Au Logement Opposable (DALO) pour avoir un logement. Tout ce que je veux c’est un logement pour moi, et un travail. Même si c’est en province »
Essi Akoumany
Cet article a été produit en collaboration avec le Master 2 ” Sociologie Politiques sociales territorialisées et Développement social urbain ” de l’université de Saint‐Quentin‐en‐Yvelines.